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Le projet Grandes métropoles

4. Croisement et analyse intra-urbaine

Si la comparaison interurbaine implique les difficultés méthodologiques évoquées précédemment, la confrontation de données hétérogènes à l’échelon intra-urbain est également une gageure alors même qu’elle paraît importante pour éclairer la complexité des phénomènes à l’œuvre en interfaçant des thématiques souvent analysées séparément. La comparaison de données zonales (recensements), parcellaires (modes d’occupation du sol) et de données individuelles désagrégées (transactions immobilières) pour un même territoire pourrait, par exemple, permettre de mener des analyses plus fines de la diversité interne d’un tel espace. La question de l’interopérabilité des données se pose aussi de plus en plus avec la profusion des traces numériques (Severo & Romele, 2015), i.e. données des objets connectés (Louail et al., 2014), des réseaux sociaux et des plateformes web de service (traces des coureurs à pied [2], locations de courte durée Airbnb [3], etc., Guitterez et al., 2016).

À l’occasion des ateliers du projet, nous avons exploré la thématique immobilière à partir des données de insideairbnb.com, site web qui propose des scrappings des locations Airbnb, à plusieurs dates, pour différentes métropoles (au-delà de celles initialement retenues). En s’affranchissant de la question des périmètres, souvent peu comparables (tantôt à l’échelle municipale comme pour Paris ou Chicago, tantôt à celle des aires métropolitaines comme pour le Grand Londres), une première analyse montre des différences dans la structure de l’offre locative (on propose plus aisément une chambre privée à Barcelone, on loue plutôt un appartement entier à Paris), l’existence d’agences cachées (en regardant le nombre de biens disponibles à la location plus de 6 mois par an, notamment à Chicago), ou même la diffusion du phénomène dans le temps (Fig. 5).

Figure 5. Les données issues du web et l’analyse intra-urbaine : l’exemple des locations Airbnb
Les données issues du web et l’analyse intra-urbaine : l’exemple des locations Airbnb

La mise en comparaison de ces données locales décrivant des modalités de marchés immobiliers à partir d’offres locatives Airbnb avec celles des transactions immobilières (achats de biens, appartements) pose ici à nouveau des problèmes relatifs au MAUP et au maillage utilisé. Elle peut se faire par exemple à partir d’un carroyage ou encore d’un modèle d’interpolation reposant sur la probabilité que des biens proches se ressemblent en termes de prix au mètre carré, puisque la détermination des prix sur le marché est une affaire de comparaison entre des biens proches et ressemblants (Guérois & Le Goix, 2009). Cette comparaison des données soulève aussi des questions d’harmonisation temporelle des jeux de données : on peut ici inférer que la comparaison entre marchés immobiliers d’acquisition sur l’ensemble de l’année 2012 et marchés locatifs issus d’un scrapping en 2016 est raisonnable.

Au-delà des questions méthodologiques d’interopérabilité, la comparaison entre données hétérogènes nécessite aussi de déterminer le sens de la question qu’on leur pose. Si les classements entre métropoles sont souvent issus du prix des logements (Fig. 5), d’autres questions paraissent plus pertinentes dans la comparaison de données fines issues du web 2.0, telle que l’influence des transformations des régimes économiques (ici la location temporaire) sur les dynamiques infra-métropolitaines, et ce faisant sur les régimes d’inégalités socio-économiques susceptibles de s’y creuser, par exemple en termes d’accès au logement. Un exemple peut en être donné dans le cas parisien, avec une comparaison des données Airbnb avec les données fines des transactions immobilières [4] afin d’analyser les structures spatiales des prix et de la densité des transactions. Les éléments relatifs au prix de vente et aux prix Airbnb pour les appartements de 2 à 6 pièces montrent tout d’abord que la corrélation entre les deux systèmes de détermination des prix est extrêmement forte, les premiers permettant de déduire les seconds. Le lien est évidemment celui de la rente foncière, de la rente de site et de situation, mais aussi du crédit immobilier, qui détermine l’un et l’autre [5]. En revanche, l’analyse des densités montre une plus grande variance dans la structure spatiale de ces deux dimensions, pourtant corrélées, de la pression immobilière en métropole (Fig. 6). Si les densités d’offres Airbnb et de transactions portant sur des appartements mettent en évidence les quartiers où ces deux marchés sont les plus dynamiques (N et N-E de Paris), le modèle de régression et l’analyse des résidus révèlent les quartiers sur lesquels l’offre Airbnb exerce une pression particulièrement forte sur les marchés immobiliers, renforçant une pénurie d’appartements destinés au logement des ménages dans le centre de Paris (du 2e au 6e arrondissement), dans le quartier Saint-Lazare Montmartre, ainsi que dans le 8e (Fig. 6c). Dès lors, l’usage de données issues du web permet de révéler des mutations récentes des espaces urbains, parfois peu visibles à travers l’analyse de données plus classiques.

Figure 6. Comparaison de l’offre Airbnb en 2016 et des transactions immobilières des appartements de 2 à 6 pièces en 2012
Comparaison de l’offre Airbnb en 2016 et des transactions immobilières des appartements de 2 à 6 pièces en 2012

[2] Where People Run in Major Cities.
[3] Voir notamment les travaux du groupe Net (h) no-graphies [en ligne].
[4] Base BIEN Chambre des Notaires d’Île-de-France, convention d’exploitation LabEx DynamiTe 2014-2017.
[5] Relation estimée par un modèle de régression linéaire tel que : PrixAirBnB2016 = 0,004197 x PrixApt2012 – 5,216 ; r2 = 0,87.


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