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Le projet Grandes métropoles

3. Représentation et comparaison interurbaine

Comment s’y prendre lorsque l’on souhaite par exemple représenter et comparer le vieillissement, à Paris, Chicago et Mexico, trois agglomérations pour lesquelles les surfaces, les masses de population et les variables disponibles sont différentes ? Pour la démographie comme pour l’utilisation du sol, le premier problème reste celui de l’harmonisation des données (délimitation des tranches d’âges, précision insuffisante, etc.). Mais même ce défi relevé, la comparaison cartographique des structures démographiques met en lumière au moins trois verrous. D’abord, la lisibilité des formes spatiales est difficile pour les zones centrales – pourtant les plus peuplées. Ensuite, la métrique euclidienne montre ses limites quand les géométries, surfaces et densités s’inscrivent dans des modèles urbains distincts : la distance n’a ainsi pas le même sens selon qu’il s’agit d’une ville latino-américaine, nord-américaine ou européenne. Enfin, les différences dans la structure des données peuvent être clairement visibles lorsque les étapes dans le processus de transition démographique diffèrent.

Pour dépasser ces obstacles, nous proposons une série d’options afin de sélectionner des espaces et des variables comparables et de les cartographier. Premièrement, nous proposons d’analyser en priorité les populations comprises dans la limite des 5 premiers millions d’habitants les plus proches du centre [1] – que nous proposons d’appeler « cœur » d’agglomération : de cette manière, les référentiels en termes de masses de population deviennent comparables. Deuxièmement, s’affranchir de la métrique euclidienne en optant pour les représentations en anamorphoses permet de mettre en relief les principales structures spatiales qui se dégagent de l’analyse de données démographiques, en minimisant les effets de distance au centre dans des métropoles très étalées : dans la continuité des travaux de Stouffer (1940), c’est bien la distance entre deux unités « sociales », non par le nombre de kilomètres (ou le temps d’accès), mais par la masse d’habitants localisés entre deux points, qui permet une approche des interactions internes (Grasland, 2010). Enfin, le calcul d’indices comparables, à partir des données démographiques disponibles, doit permettre tant de souligner les différenciations sociospatiales internes que de confronter les cas d’étude : ainsi un indice de vieillissement, défini par le rapport entre les 60 ans et plus et les moins de 25 ans, standardisé par la moyenne et l’écart-type dans chacune des métropoles, renvoie à une lecture rigoureusement comparable de la division sociale de l’espace selon cette entrée dans les trois cas. La combinaison de ces trois options (cœur d’agglomération, anamorphoses et indice standardisé) autorise ainsi une lecture comparée, sur un référentiel commun, de la structure démographique dans les trois métropoles, mais aussi une analyse fine de leur structure urbaine interne (Fig. 3).

Figure 3. La cartographie en anamorphose comme outil d’analyse comparative
La cartographie en anamorphose comme outil d’analyse comparative

Les options méthodologiques ici proposées n’annulent pas pour autant l’impact des variations de la taille des unités statistiques (effet de MAUP, Modifiable Area Unit Problem, Madelin et al., 2009). Il serait sans doute nécessaire d’ajouter des méthodes de lissage ou d’agrégation de données, qui permettraient de mieux harmoniser les représentations – mais au prix d’une perte de détails.

L’analyse comparative permise par un travail sur la représentation des données renvoie également d’autres problématiques méthodologiques, comme celle de la lisibilité de l’information. Pour certaines thématiques, comme la mobilité intra-urbaine, la cartographie des données systématiques est un frein à la comparaison visuelle. À Mexico, par exemple, la représentation des mobilités résidentielles entre les 76 municipalités qui composent l’agglomération implique une masse trop importante d’information à représenter (5 700 liens potentiels), obérant toute lecture synthétique des tendances structurant l’agglomération, et a fortiori, la comparaison de schémas de redistribution de la population compréhensibles et comparables avec d’autres métropoles. Afin de simplifier et de rendre comparable la lecture des trajectoires, une solution possible consiste à agréger les municipalités en ensembles cohérents et reconnaissables sous la forme de secteurs, permettant une modélisation schématique des dynamiques observées. Cette agrégation peut reposer sur des critères sociaux, économiques ou fonctionnels (Duhau, 2003), mais aussi sur des démarches synthétiques inspirées des études urbaines propres à chaque métropole (Valette, 2014). À Mexico, le croisement entre i) la date d’intégration métropolitaine – à l’origine de la classique lecture de la ville en couronnes concentriques (CONAPO, 1998 ; Sobrino & Ibarra, 2008) –, ii) la situation administrative (ville ou État de Mexico) et iii) la situation géographique (points cardinaux et rapport à la centralité géographique – sans référence à l’urbanité) permet un découpage sectoriel reproductible dans d’autres contextes (Fig. 4).

Figure 4. Simplification des unités spatiales pour une représentation synthétique comparable : l’exemple des mobilités résidentielles à Mexico
Simplification des unités spatiales pour une représentation synthétique comparable : l’exemple des mobilités résidentielles à Mexico

Cette représentation schématique de données agrégées en secteur permet un repérage rapide des dynamiques (centrifuges et centripètes) des mobilités résidentielles dans l’agglomération, et pourrait aisément être comparée à une autre métropole.


[1] Les centres renvoient à des « lieux centraux » historiques (Zócalo à Mexico, City Hall à Chicago, Hôtel de ville à Paris). Nous sommes conscients que l’identification de tels « cœurs » est susceptible de poser problème dans d’autres métropoles.


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