compte-rendu FDG

Pédagogies actives / alternatives / critiques : relations et distinctions. Retours réflexifs d’enseignant·es en géographie à l’université

Les organisatrices remercient chaleureusement les trois collègues ayant accepté d’intervenir dans cet atelier, ainsi qu’Olivier Milhaud (MCF Sorbonne Université / Médiations) pour la prise de notes ayant servi à rédiger ce compte-rendu.
Présentation de Feuilles de géographie - Camille Vergnaud et Annaig Oiry

Projet exploratoire du CIST depuis 2021, Feuilles de géographie est une revue et une association qui a pour objectif de réfléchir aux pratiques d’enseignement de la géographie à l’Université. Une partie de son activité consiste à susciter et publier des trames et contenus de cours, appelés des « feuilles » (de CM, de TD, de progression). Celles-ci, de formats divers, sont soumises à double relecture anonymisée, puis publiées en ligne sur le site internet de la revue. L’équipe éditoriale organise également des ateliers-débats sur différentes thématiques pour lancer des discussions pédagogiques et partager des expériences.

Feuilles de géographie souhaite partager des supports et contenus de cours de manière collective, participer aux débats sur l’enseignement de la géographie dans le supérieur, y compris concernant le contexte institutionnel et politique de nos enseignements, et valoriser la place de l’enseignement dans nos métiers.

Depuis 2017, l’équipe a organisé divers ateliers sur plusieurs thématiques, notamment :
• Échanges sur les pratiques d’évaluation (avril 2017)
• Enseigner la géographie hors-les-murs (mai 2018)
• Enseigner l’analyse spatiale (janvier 2020)
• Enseigner la géographie de l’environnement (avril 2022) 

Introduction - Camille Vergnaud et Annaig Oiry

Annaig Oiry, maîtresse de conférences, Université Gustave Eiffel Marne-la-Vallée, UFR SHS – ACP
Camille Vergnaud, maîtresse de conférences, Université Grenoble Alpes – INSPE – PACTE

Pédagogies actives, visée alternative, approches critiques

L’impulsion de cet atelier provient d’une envie de réflexivité à l’égard des « pédagogies actives », de leurs pratiques et des discours qui les portent. En effet, le terme est général voire flou. Les pédagogies actives peuvent être définies de manière large comme des dispositifs qui se présentent comme une alternative à une démarche transmissive, qualifiée elle de traditionnelle, en mettant en activité les étudiant‧es pour qu’ils construisent de façon plus autonome leurs propres savoirs.

Mais ce terme fait référence à des courants pédagogiques très variés (Allam & Wagnon, 2018 ; Wagnon & André, 2018), que ce soit en termes d’époques, de généalogie, de pratiques, de publics et de portées politiques. On peut penser par exemple à la pédagogie Freinet, structurée au début du XXe siècle, fondée sur l’expression libre et la coopération des enfants, qui porte en elle un idéal d’émancipation de l’individu, des classes populaires et de la société. Plus largement, les courants de l’Éducation nouvelle promeuvent des méthodes actives et se sont constitués en « alternative » au modèle dominant de l’époque.

Parallèlement à ces courants très divers, se développent en France des pédagogies et des institutions qui se revendiquent comme une alternative à l’école traditionnelle. On peut penser par exemple aux lycées autogérés, à l’instruction en famille ou à l’enseignement privé confessionnel (Allam & Wagnon, 2018). Au sein de cette galaxie de courants se réclamant d’une « alternative », les méthodes dites « actives » ont une place prépondérante, prônant la mise en activité des élèves.

« Visée alternative » et « démarche active » sont donc liées sans être identiques. Or, les pédagogies actives se développent, gagnent en médiatisation, en popularité et se diversifient. Progressivement, elles sont intégrées aux recommandations pour l’enseignement scolaire, dans l’Éducation nationale ; elles sont utilisées et appropriées dans le champ du conseil à la parentalité ; elles sont en partie utilisées dans le domaine du management comme techniques d’animation de groupes au sein des entreprises.

Les pédagogies actives ont pu se construire comme une alternative à un modèle transmissif et hiérarchique, peut-être autoritaire, ou à un système visant à maintenir un ordre social et réduisant la dimension politique et collective de l’éducation. Or, actuellement, ces pédagogies actives d’une part s’institutionnalisent, font normes, d’autre part s’insèrent dans un marché lucratif et managérial (De Cock & Pereira, 2018), enfin se concentrent sur la mise en activité de l’individu, son développement personnel, l’accroissement de ses compétences de résolution de problème, de gestion des émotions, de réactivité, etc.

Les pédagogies actives semblent se réorienter vers le développement individuel de l’élève ou la gestion de classe plutôt que sur l’émancipation collective (Mas, 2018, in Pereira & De Cock, 2018). Cela fait écho à une « mise en œuvre d’une approche néolibérale dans les politiques d’éducation » (Leroy, 2022 : 36).

Ces évolutions renforcent la tension entre la nébuleuse des « pédagogies actives » et la position d’« alternative » : alternatives vis-à-vis de qui, de quoi ? Quels modèles d’éducation et d’interaction de l’individu avec la société ces pédagogies actives portent-elles ?

Cela nous a donné envie de les confronter aux pédagogies critiques. En effet, ces pédagogies portent en elles une critique sociale et politique sur le contexte d’enseignement et plus largement sur la société. Elles poursuivent explicitement un objectif de transformation et de justice sociales. Elles s’inspirent (notamment mais pas seulement) d’un pédagogue brésilien, Paulo Freire, qui mettait l’accent sur la prise de conscience des oppressions et des inégalités (ou « conscientisation »). Il affirmait le caractère politique de l’éducation et souhaitait développer une lecture critique du monde et développer les capacités d’agir. Selon lui, ces pédagogies ne doivent pas servir l’intérêt des enfants des classes supérieures, mais doivent s’adresser aussi aux enfants des classes populaires. Ce type de pédagogies est donc parfois lié aux pratiques militantes et au courant de l’éducation populaire.

Un champ porteur mais encore peu présent dans le supérieur

Enfin, le champ des pédagogies actives / critiques / alternatives paraît porteur dans le grand public et travaillé en sciences de l’éducation et dans les INSPE, mais moins dans les collectifs d’enseignant‧es à l’université. Un des constats qui nous a donné envie d’organiser l’atelier est celui de l’intérêt récent et croissant pour les modes d’apprentissage dits « actifs » (mais pas forcément critiques ?). Mais concrètement : comment faire ? et avec quelles ressources ? Un autre constat a nous a également animé : les pédagogies dites « actives » semblent être plus appropriées par les cycles d’enseignement du primaire et du secondaire que dans l’enseignement supérieur. En témoigne l’organisation récente de plusieurs journées d’études au sein de l’INSPE de Créteil sur les pédagogies actives, coopératives ou critiques, qui concernent exclusivement les niveaux primaire et secondaire : « Quelle école pour quelle société ? Rôle et enjeux de l’Éducation nouvelle aujourd’hui » (juin 2021), « Pédagogies de projets, projets pédagogiques et Éducation nouvelle : quels enjeux ? » (juin 2022), « L’Éducation nouvelle hors les murs » (21 juin 2023). Une montée en puissance des réflexions pédagogiques au sein des universités est toutefois notable, réflexions notamment prises en charge par des centres d’innovation pédagogiques constitués hors des équipes enseignantes. Mais ces réflexions posent question, en particulier sur la place dédiée à l’enseignement par voie numérique, sur la prise en compte des savoirs et didactiques disciplinaires, sur les structures et les professionnels prenant en charge les formations.

Questionnements

Dans ce contexte, nous souhaitons dans cet atelier discuter de formes d’enseignement qui s’appuient sur des pédagogies actives et leur rapport avec une visée critique, le tout dans le supérieur.

Si on se projette comme enseignante, un certain nombre ou plutôt un nombre certain de questions nous animent :

  • Quels sont les objectifs des pédagogies actives ? Comment construire un équilibre entre l’attention portée à la forme prise par le dispositif pédagogique et l’objectif de contenu de connaissances ?
  • Ce type de pédagogies ne risque-t-il pas de renforcer des inégalités (scolaires, sociales, de genre, de race, de classe) selon leur adéquation à différents publics et territoires ? En effet, il y aurait un risque que seuls les élèves et étudiants maitrisant les compétences et normes scolaires sachent s’approprier des dispositifs censés pourtant être coopératifs (Connac, 2022).
  • Comment ces pédagogies modifient-elles les postures enseignantes ? Permettent-elles une déconstruction du rapport à l’autorité de l’enseignant‧e et plus largement du rapport hiérarchique aux savoirs ? Dans quelle mesure la participation active des étudiant‧es dans la construction du cours (voire son évaluation) permet-elle leur implication et un rapport plus autonome (ou moins « aliéné ») à l’apprentissage ? Sont-elles forcément nécessaires pour insuffler une perspective critique aux savoirs délivrés aux étudiant‧es ?
  • Enfin, y a-t-il une spécificité disciplinaire des pédagogies actives ? La géographie y trouverait-elle un intérêt spécifique ? On pourra par exemple penser au rôle que pourrait exercer ce type de pédagogies au travers de la sortie de terrain.

Bibliographie

Allam, M.-C., & Wagnon, S., 2018, « La galaxie des pédagogies alternatives, objet d’étude des sciences humaines et sociales », Tréma, n° 50.
Connac S.
, 2022, Apprendre avec les pédagogies coopératives : démarches et outils pour l’école, ESF Sciences humaines.
De Cock L. & Pereira I., 2018, Les pédagogies critiques, Agone, « Contre-feux ».
Leroy G., 2023, Sociologie des pédagogies alternatives, La Découverte.
Wagnon S. & André H., 2018, « Galaxie des pédagogies alternatives en France », Tréma, n° 50.

Fabriquer de la matérialité des concepts pour entrer en géographie urbaine - Amandine Chapuis

Amandine Chapuis, maîtresse de conférences en géographie, Université Gustave Eiffel
Formatrice à l’INSPE de Créteil, Laboratoire analyse comparée des pouvoirs

Différentes expérimentations, notamment inspirée du GFEN (Groupe français Éducation nouvelle).
Inspiration aussi auprès de Paolo Freire, Pédagogie des opprimés : « personne n’éduque personne, personne ne s’éduque soi-même, les êtres humains s’éduquent entre eux, médiatisés par le monde ».
Caractère constructiviste des processus d’apprentissage ; la place qu’occupe le monde dans ce processus d’apprentissage : rôle central de la géographie dans ce processus, pas seulement les savoirs géographiques, mais aussi le regard géographique sur le monde.

De la maquette à la ville : manipuler pour comprendre l’espace

Démarche concrète de production d’une maquette de ville imaginaire à partir de matériaux issus de déchets ménagers destinés au recyclage.
Deux contextes de mise en œuvre : cours de base de géographie urbaine et cours de didactique de la géographie prenant pour exemple le thème de la ville.
Des objectifs d’apprentissage en géographie urbaine : découverte de quelques principes et vocabulaire de base.

Inspirée par La main à la pâte (association issue des SVT et des sciences physiques), par l’art de Bodys Isek Kingelez Ville fantôme (artiste congolais contemporain)
Fabrique, bricolage, matérialité + créativité, art, projection sensible, subjective.

Inspirée aussi par Paulo Freire, Pédagogie de l’émancipation
Etablir une nécessaire intimité entre savoirs curriculaires et expérience sociale des individus. Important pour les élèves issus des classes populaires, racisés, forte domination symbolique du rapport à l’école.

Consignes données aux élèves : explorez le contenu de votre poubelle jaune de recyclage, triez les matériaux, les couleurs, les formes…

  • Avoir prévu de grands cartons qui servent de support ; scotch, colle et pâte à fixe, marqueurs et peinture pour colorer, cutter sont indispensables
  • Créer votre ville en vous laissant inspirer par ces matières premières et votre imaginaire urbain
  • Dresser la carte d’identité de la ville sur feuille A3 : nom, nombre d’habitant‧es, principales caractéristiques

Grands enjeux

  • expliciter les consignes car les étudiant‧es appréhendent au début. Important de donner des consignes très concrètes et en jouer un peu. La matérialité du dispositif (des choses à toucher et à construire) fait qu’ils se mettent très vite au travail.
  • rôle de l’enseignante : j’observe énormément, je passe parmi les groupes et vérifie que la consigne est bien comprise et qu’ils ne sont pas bloqués. Etayage : manière dont l’enseignant encadre le travail des apprenant‧es au fur et à mesure. Gestes, consignes sur le vif, pour réorienter la tâche vers le but pour la rendre efficace. Ne pas avoir peur de l’échec des premières fois : il faut l’expérience de l’échec de l’étayage pour l’améliorer (donner des consignes productives). Suivi du temps, explicitation des consignes et guidage général.
  • Expliciter d’emblée l’objectif géographique à atteindre. J’explicite par mes petites questions mes attentes : qu’ils travaillent sur ce qu’ils veulent représenter. Ne pas trop intellectualiser au début, mais je garde en tête qu’on va vers une ville et non pas vers du monofonctionnel, certes imaginaire. Quand la maquette prend forme, je pose des questions plus précises : quel sens global en ressort, qu’est-ce que ça signifie pour les habitant‧es, comment présenter votre ville, qu’est-ce qui manque dans votre ville, pourquoi ne pas abandonner telle partie de la ville si elle ne répond pas à votre objectif ?
    Cf. Stéphane Bonéry « les malentendus sociocognitifs dans l’enseignement de la géo » à travers la cartographie au collège : confusion entre la tâche et le but de la cartographie, faute d’expliciter les objectifs d’apprentissage. Colorier des zones ? Non, faire un rapport entre des notions abstraites et le fait de colorier des zones. Dépasser la tâche pour saisir le but : très inégal selon les propriétés sociales, rapport à l’abstraction et aux attentes scolaires. Expliciter mes attentes : elles sont sur le plan des savoirs géographiques. Que cherchez-vous à reproduire par cette forme urbaine ? Ne confondez pas l’activité et le but !
  • démarche du chef d’œuvre et de l’exposition : soigner la forme ! donner de la valeur aux productions. C’est un vrai travail, cf. Freinet sur l’éducation prolétarienne, le travail réalisé dans des conditions signifiantes est émancipateur (approche très matérialiste de l’éducation). Il faut qu’on puisse prendre de belles photos des productions.
  • description, traduction, secondarisation : moment de déambulation entre les groupes comme dans une exposition. Puis chaque groupe présente succinctement sa ville en s’appuyant sur la carte d’identité écrite en parallèle. Celle-ci pose souvent problème : beaucoup de choses ont été discutées dans les groupes, mais eux ne verbalisent pas, ne sont pas capables de mobiliser un vocabulaire géographique pas encore appris en plus de la difficulté du passage par l’écrit.
    Rôle de l’enseignante : traduire ce qu’ils ont représenté en langage géographique. Je reformule leur présentation en notions géographiques en décrivant avec le vocabulaire (fonction urbaine, forme urbaine, type de bâti, processus comme le zonage, dynamiques comme l’étalement urbain, organisation comme polycentrisme, centralité, centre-périphérie). Personne ne prend de notes à ce moment-là, je ne leur demande pas encore de retenir mais réfléchir à « ce que signifie penser la ville » : formes, arrangements, fonctionnements.
    Cf. Lev Vygotski : processus de secondarisation des concepts du quotidien (prénotions) vers les concepts seconds pour penser le monde.
  • même produire une ville imaginaire renvoie à l’expérience sociale quotidienne, à l’intime, à l’espace vécu. On voit émerger la ségrégation urbaine, les enjeux écologiques : lien à la constitution sociologique des groupes d’étudiant‧es : celles&ceux issu‧es du pavillonnaire fabriquent du pavillonnaire, celles&ceux issu‧es des grands ensembles fabriquent des « quartiers politique de la ville ».

Suite de la séance

Après, je considère qu’ils et elles sont prêtes pour un « cours magistral en situation ». L’approche transmissive n’est pas un tabou, mais une des meilleures manières d’insister explicitement sur des savoirs à faire acquérir. Elle nécessite des conditions très spécifiques pour ne pas être juste une matrice de reproduction des inégalités scolaires. Définition de la ville (concentration démographique, continuité du bâti, concentration des pouvoirs). 3 approches : formes, fonctions, processus.

Dans l’idéal, il faudrait s’approprier par l’écrit personnel la construction de concepts‧ Cette secondarisation des concepts se fait par la mise à l’écrit, être placé comme sachant‧es permet de s’approprier les concepts les plus abstraits : décrivez votre ville en géographe. Mobilisez si besoin le glossaire de Géoconfluences pour décrire votre ville. Lecture stratégique du glossaire pour faire un écrit expert.

Les ateliers d’enquête, entre apprentissage du terrain, géographie sociale critique et exigence de professionnalisation - Sophie Blanchard

Sophie Blanchard, maîtresse de conférences en géographie, Université Paris-Est Créteil, UFR LLSH / Lab’Urba

Ne fait a priori pas de pédagogie active. Ateliers d’enquête : outil et forme de l’apprentissage de compétences. Retour réflexif sur des pratiques d’ateliers.L3 géographie : initiation à la recherche en géographie sociale et stage de terrain dans une autre région.M1 espaces, sociétés, territoires : atelier d’études locales (commande sollicitée auprès d’une collectivité). Avec une quinzaine d’étudiant‧es.

Objectifs par rapport aux compétences : mettre en œuvre des techniques d’enquête (cartes mentales, questionnaires communs, etc.), travail en groupe (en commun et en complémentarité car compétences différentes selon leur cursus antérieur : rédaction, techniques d’enquête, restitution cartographique, entretiens, autres savoirs que les savoirs scolaires comme l’écrit), mise en forme de ces résultats pour les rendre accessibles au commanditaire (poster, restitution orale à partir de diaporamas très travaillés avec eux).
Travail en groupe car promotion très hétérogène : permet de souder les promotions. Construction de groupes mixtes selon origines, genre, etc., pas toujours évident à mettre en place.
Volume horaire et travail importants au M1S1.
Exemples de commandes : Les pratiques de loisirs des jeunes ; Usages du square Lucien Brun ; Genre et usages des espaces publics ; La fracture numérique ; Les pratiques genrées sur le campus de la cité Descartes à Marne-la-Vallée.
Sur les pratiques genrées du campus : 6 groupes (mobilités, restauration universitaire, toilettologie, sport, street workout, soirées étudiantes), techniques (questionnaires, entretiens, observations, comptages, cartes mentales). Spécifiques aux SHS mais pas à la géographie.

Formation à la recherche par la recherche :

  • Construire une question de recherche dans un cadre imposé (commande à partir d’une thématique et d’un lieu, finalité très claire pour tel acteur, mais construction d’une question de recherche)
  • Élaborer une méthode
  • S’adapter au terrain et à ses surprises (deuxième confinement, entretiens à distance)

Organisation des séances

  • Séances de cadrage, rappels méthodologiques interactifs, partage d’expérience + cours thématiques sur la thématique du projet (travaux antérieurs sur la dimension genrée des pratiques spatiales par exemple)
  • Puis 2e partie du cours : coconstruction de la méthode de recherche, pour les amener à des sujets individuels. Questionnaire construit avec eux : déplacement de notre posture d’enseignante, on leur donne des conseils mais on prend le temps de les laisser construire le questionnaire et en débattre, leur laisser le dernier mot (identification ethnique dans les questionnaires par exemple).
    Aux vues des questions traitées, on est dans le champ de la géographie critique : inégalités, discriminations, trajectoires, territoires de relégation. Assister à des conseils de quartier : les penser comme des dispositifs participatifs formidables et démocratiques et se retrouver dans des réunions de personnes âgées, diplômées, parlant de manière condescendante des jeunes. Révélation de conflits d’usages plus générationnels (les petits et les grands) que genrés dans un skate-park.
  • Réalisations et valorisation : présentations orales, posters, rapports, atlas, séminaires, colloques, articles. De fait, cela mobilise les étudiant‧es ayant le plus de capitaux symboliques. Est-ce si émancipateur que ça ? Celles&ceux qui en retirent le plus poursuivent souvent en thèse.

Enjeux éthiques

  • Rémunérer / rétribuer : l’atelier a été payé une seule fois, l’argent a été utilisé pour les étudiant‧es (transport, présentation). Sinon l’atelier est bénévole, mais rétribution symbolique pour des productions écrites
  • Publier / communiquer : facile de réaliser un tel atelier sur un terrain de nos recherches que l’on maîtrise. Travail gratuit pour les chercheur‧es ? les intégrer aux publications : à quel moment devient-on coauteur‧e ? Forme de rétribution professionnelle.
Des étudiant.es engagé‧es dans la création d’un numéro de revue scientifique - Camille Guenebeaud

Camille Guenebeaud, maître de conférences en géographie, Université Paris 8 Vincennes-Saint-Denis, LADYSS

Souligne l’avantage d’être désormais titulaire pour pouvoir consacrer du temps à cette réflexion : importance des conditions matérielles de l’enseignement.

Quelles sont les sources d’inspiration ?
Expériences militantes dans un groupe libertaire à Lille, beaucoup d’interventions en milieu scolaire, animation d’émission radio, faire vivre une scène féministe à Lille. Question du collectif et des enjeux collectifs
Boîte à outils pédagogique trouvée hors de l’université.

Mais aussi des équipes enseignantes qui ont nourri mes pratiques. Pédagogies actives, débats mouvants, etc. Au sein du groupe transversal JEDI : un séminaire de pédagogie.Méthode du puzzle d’articles : un article en 5 parties, découpées : retrait des titres. les étudiant‧es sont par groupes de 5 : chacun‧e doit lire et inventer un titre pour sa partie, puis remettre l’article dans l’ordre, puis trouver un titre collectif, puis bâtir un résumé.

Cours d’épistémologie de la géographie sociale : organisation

Comment articuler savoirs fondamentaux universitaires et pédagogie active ?
Contexte : 15 à 30 étudiant‧es de L3 (3h/semaine sur 12 semaines). Ils doivent organiser une sortie de terrain.

1eres séances : atelier sortie de terrain et cours magistraux d’introduction à la géographie sociale qui ne fonctionnent pas du tout !
D’où l’idée de mettre en place un comité de lecture fictif : les étudiant‧es deviennent membres d’une revue fictive Espaces et pouvoirs. Je leur explique le fonctionnement d’une revue scientifique, puis ils doivent piloter le numéro 1 « Rapports de pouvoir en ville ». Je leur soumets un appel à contributions très simple d’une page qui insiste sur la dimension spatiale des rapports de pouvoir et l’importance d’enquêtes fouillées. Deux rubriques : « recherche universitaire » et « recherche autrement ». Date limite le 15 novembre (c’est-à-dire la séance suivante).

Séance suivante : présentation et répartition des articles à lire et à évaluer. Je leur présente : titre des articles, mots clés, difficulté potentielle des articles, 9 contributions reçues à se répartir. Je leur donne la grille d’évaluation : brève définition du contenu, quel axe, quel thème, quelle méthode, et remplir la grille d’évaluation que j’ai élaborée. Les étudiant‧es doivent à la fin dire si l’article est accepté en l’état, avec corrections mineures / majeures, refusé.

Semaine d’après, ils se retrouvent en binôme pour confronter leurs grilles et leurs décisions et préparent la semaine suivante : défendre leur position sur l’article à retenir ou rejeter devant les autres.
Puis semaine suivante, grand moment du comité de rédaction avec thé et café. Chaque binôme présente son article et quelqu’un prend en note les points positifs / négatifs / autres aspects pour garder trace du tour de table. Ils et elles doivent prendre des notes sur les articles des autres pour savoir sur quels points négocier. On ne peut garder que 6 articles. J’ai volontairement choisi des articles hétérogènes, dont certains avec un manque de dimension spatiale, ou peu d’enquête fouillée de terrain, etc. Que valoriser quand l’article ne répond pas aux critères ?
Dernière séance : passer à l’écrit. Écrire à l’auteur‧e pour lui annoncer la décision et la justifier en deux pages. De mon côté, je contacte les auteur‧es des articles pour savoir s’ils sont d’accord pour un entretien en visioconférence avec moi : je leur demande leur regard sur leur propre article, ce qu’ils font depuis dans leur carrière, comment ils et elles travaillent la dimension spatiale. Je présente la vidéo aux étudiant‧es la semaine où ils et elles rendent les écrits.

Retours : pédagogie active au service de quelle réflexion épistémologique ?

  • 1er objectif : leur donner le goût de lire des articles de géographie sociale. Articles courts, accessibles : Métropolitiques, Urbanités, Carnets de géographes.
  • La moitié des articles soumis vient de géographes, les autres viennent de sociologues. Le comité vient aider les étudiant‧es à différencier géographie sociale et sociologie. Développer un regard critique sur l’absence de dimension spatiale : à l’écrit, ils doivent suggérer des dimensions spatiales aux auteur‧es.
  • Repérer les degrés de scientificité des articles notamment en s’appuyant sur les deux rubriques « recherche universitaire » et « recherche autrement ». Repérer la différence de formats. Base d’un article scientifique différente d’un article sous un format plus libre, mais moins bétonné en méthodologie, état de l’art, etc.
  • Dimension spatiale des rapports de pouvoir : se repérer sur la façon de présenter les rapports sociaux, comment l’auteur‧e se situe ou pas (« chercheur‧e militant‧e », etc.)
  • Les initier au fonctionnement de la recherche : comité de revue, articles évalués. Cela change la relation entre étudiant‧es et chercheur‧es. Ils m’ont vu comme chercheur. Evaluer des auteur‧es les sort de l’image très abstraite des chercheur‧es. Cela sort la science d’une représentation très lisse sans enjeux de pouvoirs. La vidéo finale est très appréciée des étudiant‧es, car les auteur‧es s’adressent à eux, décrivent leurs parcours, ont un regard critique sur leur propre travail. Ils sont aux manettes de l’évaluation, cela leur plaît beaucoup.

Ouverture : une méthode qui marche pour tout le monde ?

J’avais testé le puzzle d’article, l’arpentage. Là, le retour des étudiant‧es est très enthousiaste. À la fin du comité, ils et elles voulaient lire les articles des autres ! Les très bons élèves n’aiment pas les formes inhabituelles type débats mouvants.
Qui fait réussir à long terme ces pédagogies actives ?
Beaucoup de difficultés scolaires des étudiant‧es à P8 : je n’ai quasiment pas fait de pédagogie active, mais me suis concentré sur la méthodologie au début pour leur donner les bases très vite. Comment allier les deux ? Comment, par exemple, faire de la pédagogie active pour mener à la dissertation ?

Débat

Comment évaluer ces cours ?

Camille Guenebeaud
4 notes : 1 note d’oral, 1 note du rendu écrit adressé à l’auteur‧e, 1 note de sortie de terrain, 1 note du test de connaissances.
Mon problème est que je veux bien les évaluer, mais pas les noter, sur un projet collectif de ce type. Quand ils ne font pas l’exercice, ils n’ont pas la moyenne. Les notes du début du semestre étaient mauvaises, donc les notes du comité compensaient.

Amandine Chapuis
Dans mon cours, chaque thématique expérimente une démarche et une production, puis un apport de connaissances, puis une remobilisation dans une production personnelle analytique écrite. Tout à la fin, je leur demande une enquête sur leur propre mobilité, produire une carte, puis l’analyser avec un lexique à mobiliser : ils et elles doivent suivre la même démarche, mais cette fois-ci notée, et cela donne la note finale.

Sophie Blanchard
On valorise les étudiant‧es qui ont joué le jeu dans un projet collectif : présentation orale par groupe, et rendu écrit : morceau de rapport, planches d’atlas. Notes élevées mais discriminantes malgré tout entre le correct, le bon et l’excellent. Cela demande beaucoup de travail, donc pas de note en dessous de 10, sauf cas de conflits forts avec passagers clandestins.

Qu’est-ce qui est critique : le contenu, l’approche ? Qu’est-ce que la géographie critique et la géographie non critique ?

Est-ce critique de dire « on doit aller vers une ville » ou « vers un lieu qui maximise l’interaction sociale » ? Poser le mot « ville » est en fait un concept obstacle au sens de Bachelard.
Conséquence sur le terrain : sortie de 3 jours avec des L1, partir de statistiques à fond en laboratoire avant d’y aller, élaborer un atlas du lieu PUIS aller sur le terrain. Réalisation de faux INSEE Première. Cela vaudrait le coup de mélanger des étudiant‧es en géomatique et statistiques avec des étudiant‧es en géographie sociale. Les milieux défavorisés ne seraient-ils pas plus à l’aise avec des méthodes quantitatives et cartographiques qu’avec les méthodes qualitatives qui supposent une grande maîtrise de la langue française ?

Comment mobiliser ces pédagogies actives face à des étudiant‧es qui attendent un cours magistral classique ? Comment se lancer dans ce type de pédagogie sans renforcer les inégalités ?

  • Accompagnement enseignant : leur dire de ne pas avoir peur, ils vont être accompagnés. Quand c’est une partie CM, leur dire de s’accrocher, car c’est difficile.
    Etayage décisif
  • Le terrain ne suscite pas de résistance globalement. Accepter et expliciter les rebondissements. Expliciter aux étudiant‧es ce qu’ils et elles ont appris. Essentiel de leur montrer à la fin tout ce qu’ils ont appris via ces pédagogies.
    Explicitation
  • L’illusion du cours dialogué (Amandine Chapuis) : j’ai l’impression de discuter et de faire de la maïeutique, et en fait pas du tout, tout le monde ne participe pas, je fais faire les sauts cognitifs toujours aux mêmes personnes. Interroger d’emblée cette illusion du cours dialogué : donc cours magistral explicite mais APRES une mise en activité des élèves, puis écrit individuel personnel, puis le CM.
    – Resituer, faire du CM en situation comme moyen de limiter la reproduction des inégalités sociales dans la salle de classe. Les pratiques dans la salle de classe aggravent-elles les inégalités ou pas ? Penser ce préalable. Cf. travaux du didacticien Didier Cariou.
    – Se centrer sur ce qui sera effectivement approprié et pas sur ce qui est censé avoir été transmis par une pédagogie magistrale.
  • Il faut rentrer petit à petit dans ces pédagogies actives, avant de les systématiser. C’est plus facile en INSPE. Y aller par petites touches : une expérience entraînera d’autres petit à petit. Accepter que construire un cours demande un effort considérable et pas forcément jouable quand on fait une thèse à côté. Accepter que les premières occurrences puissent échouer, balbutier. Accepter de changer de posture. Recommencer. S’interroger sur son cours (ma consigne est-elle productive ou pas ?)
    Progressif, itératif et réflexif
  • Enjeux des contraintes matérielles : séances de 50 minutes, manque d’espace, etc.
    Ne pas négliger
fr_FR