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Décentralisation sanitaire et territorialisation en France : approche comparée

Ce 3e séminaire de l’axe Territoires et santé était organisé le 10 novembre 2015 en collaboration avec l’IAU îdF, partenaire institutionnel du CIST.

Cette synthèse est proposée par Sébastien Fleuret, ESO-Angers.

La journée ayant été particulièrement dense, cette synthèse ne pourra pas tout traiter et reviendra donc uniquement sur les idées-clés, les points qui ont pu retenir l’attention.

Autour de la territorialisation

Tout d’abord, le premier élément logique de discussion par rapport à la thématique de la journée, c’est l’ensemble des échanges qu’il y a eu autour de l’idée de territorialisation. Un certain nombre de petites phrases peuvent ainsi être reprises. Celle d’Olivier Lacoste, « on territorialise quand on a besoin de décider », qui pose la territorialisation comme support à l’action. Ensuite il posait la question de savoir « ce que l’on territorialise ». Pendant un long moment on a parlé essentiellement du soin et des activités sanitaires, de l’offre de soins, notamment celle qui est donnée par les hôpitaux en montrant qu’en France cela avait été à l’origine des actions de planification. En citant les travaux d’Henri Picheral, O. Lacoste a aussi fait référence à toute cette géographie du soin qui a donné lieu ensuite à la planification régionale.

Puis la présentation de Sarah Curtis et Alyson Learmonth sur l’exemple britannique a permis de réintroduire l’idée d’une approche un peu plus globale, plus large de la santé et l’idée de promouvoir des conditions favorables à la santé.

On s’est aussi posé la question de savoir qui fait cette territorialisation. À quelles échelles ? Et là on nous a montré qu’il y a des nuances importantes à avoir en tête entre décentralisation, déconcentration, dévolution (cf. la présentation de P. Hassenteufel), que tout ça n’est pas la même chose. Réfléchir à la territorialisation et la décentralisation nous amène, finalement, à regarder un certain nombre d’aller et retours qui se font (ou qui ne se font pas d’ailleurs) entre les acteurs de terrain (ceux qui souvent soit dispensent le soin, soit essaient de créer un certain nombre de conditions favorables à la santé) et les acteurs qui vont prendre des décisions à des échelons supérieurs. Et on a vu que cela fonctionne dans les deux sens. L. Ginot nous a dit par exemple que l’ARS souhaite aussi peser sur l’aménagement du territoire à l’échelle du Grand Paris. Il y a donc cette idée que les acteurs locaux cherchent à avoir du poids pour se faire entendre aux niveaux supérieurs mais que les administrations elles aussi cherchent à développer leurs plaidoyers au niveau local.

Les enjeux de l’adaptation aux évolutions actuelles

Un deuxième point est à relever que l’on pourrait titrer « les enjeux de l’adaptation aux évolutions actuelles » : évolution des systèmes de santé, évolution des territoires.

La première évolution, mentionnée mais en définitive pas problématisée, est le développement de l’ambulatoire. Dans la présentation de S. Luther, on a vu qu’en Allemagne l’ambulatoire est le monopole des médecins généralistes même si ce monopole est articulé avec un certain nombre d’acteurs qui ne sont pas du champ médical. Mais lorsque l’on développe l’ambulatoire, cela signifie que l’on raccourcit les durées d’hospitalisation et que l’on fait en sorte qu’une partie du soin s’effectue non plus dans un établissement mais à domicile. Ce faisant, on effectue un transfert de la sphère de l’établissement vers la sphère familiale et vers la sphère territoriale. On transfère la prise en charge des patients et les charges y afférent car les acteurs de la prise en charge ne sont plus concentrés au sein d’une structure mais répartis sur le territoire. On transfère des coûts également puisque le coût n’est plus supporté par l’établissement. À l’échelle des comptes de la santé cela apparaît comme un progrès mais le coût est encore là, seulement il va être supporté soit par la famille, soit par les collectivités qui vont prendre en charge un certain nombre de services à domicile. Et puis cela crée de nouveaux besoins : besoins de coordination, besoins d’articulation entre les différents acteurs de cette prise en charge. Ces besoins ont été largement évoqués durant la journée mais sans être reliés à l’ambulatoire ; or il m’a semblé important d’effectuer ce rapprochement.

La deuxième évolution, qui n’est pas nouvelle, est l’acceptation désormais largement partagée que la santé dépend d’un large panel de déterminants qui ne sont pas que des déterminants médicaux, qui sont des déterminants sociaux, environnementaux, économiques. Et quand on accepte cette vision de la santé, pour avoir une population en santé il faut bien évidement un système de soins mais il faut également des interventions dans tout un ensemble de secteurs. Par exemple, a été évoquée la question de l’habitat insalubre. Voilà un exemple tout à fait parlant : on va agir sur l’habitat par une politique du logement, une politique de construction. Ce n’est pas directement une politique de santé mais l’impact sanitaire est très fort. C’est à relier à des propos qui ont été tenus sur la gestion intégrée à l’échelle locale, l’exemple britannique du place shaping for health mais également ce qui nous a été exposé autour des CLS (contrats locaux de santé) par V. Egloff et A. Demare sur l’exemple du Havre où l’un des objectifs était « de favoriser des conditions favorables à la santé ». L’idée est bien ici que si l’on veut avoir une vision globale de la santé on doit intervenir assez largement sur le territoire et dans un grand nombre de secteurs. De là se pose la même question que pour l’ambulatoire : comment articule-t-on ces différents secteurs d’intervention ? Nous allons y revenir mais disons le tout de suite, cela pose la question de l’enchevêtrement des territoires, du fameux mille-feuille. Cela pose aussi la question des outils. On nous a présenté les CLS comme outil d’interface avec des choix qui peuvent être un peu différents. En Ile-de-France, le choix de ne développer les CLS que dans les territoires en difficulté correspond à une logique de rééquilibrage et de lutte contre les inégalités. Ailleurs on peut avoir une volonté de mettre des CLS partout et d’avoir une couverture complète du territoire. Cela renvoie à la question de la priorisation qui est ressortie assez régulièrement aussi durant la journée. Et là on a vu à travers l’exemple de Vitry-sur-Seine que la subvention peut être un levier assez fort et qu’un territoire qui n’aurait pas trop envie de développer un CLS peut finalement être amené à le faire parce que l’intérêt économique est là et conduit le territoire local à s’inscrire dans les priorités de l’agence régionale.

Discontinuités, ruptures, particularismes, singularités à l’échelle locale

Le point suivant se décrit par un ensemble de mots : discontinuités, ruptures, particularismes, singularités à l’échelle locale. Cela a été évoqué par plusieurs personnes, notamment par E. Eliot qui demandait « mais quand on fait un CLS à l’échelle intercommunale, qu’est-ce qui se passe aux marges ? Comment est-ce que l’on interconnecte ça avec les collectivités voisines ? ». Beaucoup de retours d’expériences on dit à un moment ou un autre de leur exposé « nous on a un territoire particulier, on a des singularités ». Donc finalement, et c’est tout à fait normal, chaque territoire a ses spécificités. Et cela pose la question de savoir comment on peut à la fois s’appuyer sur ces particularismes identifiés pour proposer des réponses adaptées à des besoins locaux et en même temps avoir des référentiels, des normes qui puissent s’appliquer à l’ensemble des territoires. Comment faire coïncider la prise en compte de ces particularismes avec le fameux idéal républicain qui voudrait que l’on ait une égalité de chances, une égalité de services sur l’ensemble du territoire français ? Cherche-t-on l’égalité ou l’équité ? Comment peut-on garder une autonomie locale tout en fournissant, selon une expression québécoise, « un panier de services communs » ?

La question des pouvoirs

Le point suivant est la question des pouvoirs, de leur répartition, de la démocratie sanitaire qui a été posée en des termes très intéressants autour de la place et de l’investissement des élus locaux en santé. Il y a eu des discussions sur le fait que certains élus (en région par exemple) ne souhaitaient pas forcément s’exposer à prendre des coups en se chargeant des questions de santé ; sur le fait qu’à l’échelle locale on peut faire de la santé sans être dans le champ des politiques de santé mais dans d’autres champs politiques (c’est le cas à Argenteuil où une réflexion a eu lieu sur les atouts de la collectivité lui permettant d’être attractive et de maintenir des services de santé par exemple).

L’un des objectifs de cette journée de séminaire était d’avoir des regards extérieurs et l’exemple du Royaume-Uni est en ce sens très enrichissant au sujet de la place des élus et de la répartition des pouvoirs d’une manière large. Les systèmes de santé sont organisés en pyramide avec les soins spécialisés au sommet, les soins primaires à la base. En France il semble, à l’écoute des exposés de la journée, que l’on est encore beaucoup dans une réflexion sur la planification sanitaire qui part de l’hôpital et qui ensuite va regarder ce qui se passe vers la base (et encore, pas systématiquement). Une des raisons à cela a aussi été évoquée aujourd’hui, c’est la libre installation des médecins en France, l’absence de régulation de leur répartition et la quasi-absence de moyens de correction des déséquilibres : le soin primaire n’est pas soumis à une planification ni à une gouvernance locale. Ce qui est intéressant au Royaume-Uni c’est la réaffectation de moyens du sommet vers les soins primaires et finalement la réorganisation des territoires à partir de ces derniers. Cela touche à une logique géographique, mais cela touche aussi à une question organisationnelle : où place-t-on les priorités ? Vers les premiers niveaux de soins ou vers l’accessibilité aux soins plus spécialisés ? Au Royaume-Uni la logique est celle de la dévolution, avec des conseils élus locaux, véritable gouvernance locale de la santé. Cela se fait dans une logique de marché qui n’est pas celle qui préside en France et, sans souhaiter l’avènement de cette logique (loin de là), il est intéressant d’observer la dévolution de certaines décisions à une structure élue locale en santé.

Le mille-feuille territorial

Le moment est venu, comme annoncé précédemment de revenir sur la question du mille-feuille territorial que l’on peut lier à la question des décalages entre territoires institutionnels (ce que nous a démontré P. Hassenteufel). Il semble qu’à travers la question du mille-feuille territorial on pose aussi la question du chevauchement. À partir de l’exemple de Vitry-sur-Seine, S. Tessier a dressé la liste des 7 secteurs qu’il a sur sa commune : territoires de santé, CLIC, 2 circonscriptions scolaires, etc. et il a montré toute la difficulté qu’il peut y avoir à faire travailler tous ces secteurs ensemble car dans certains cas cela couvre tout le territoire de sa commune, dans d’autres, cela couvre les communes avoisinantes mais pas la sienne, ou cela n’en couvre qu’une partie ou encore on va avoir trois interlocuteurs à faire travailler ensemble mais chacun va dire « moi je ne travaille que sur mon territoire ». Là où ça se chevauche tout le monde coopère. Là où ça ne se chevauche plus, on perd des interlocuteurs ou on est obligé de faire de multiples niveaux de coordination aux échelons supérieurs et de remonter parfois jusqu’au département où les gens se retrouvent mais qui sont pour le coup des territoires très vastes, ce qui pose la question de savoir si l’on est encore dans la bonne maille territoriale, ce qui nous amène au point suivant.

La question des échelles, des maillages territoriaux se pose dans les termes suivants : quel est le territoire pertinent ? Quelle est la bonne échelle de réflexion ?

Là c’est le cas allemand qui apporte des éclairages intéressants, par exemple du fait qu’il y existe des échelles différentes dans l’encadrement de l’installation des médecins généralistes et des médecins spécialistes. Pour ces derniers il est intéressant d’observer que la régulation de leur installation se fait à l’échelle du Kreis (qui s’apparente à un district ou un canton) et que cette échelle est un découpage administratif qui n’est pas spécifique à la santé ce qui facilite l’intersectorialité des interventions et les collaborations. Mais cela ne résout pas tout puisque S. Luther nous a montré qu’à l’intérieur de ces Kreis, à l’échelle pourtant réduite, des disparités se font jour entre des centralités attractives et des marges plus délaissées. En effet à l’intérieur des Kreis les médecins sont libres de choisir leur lieu d’installation et il y a toujours nécessité d’opérer des compensations sans pour autant toujours disposer des moyens pour le faire.

Un dernier point sur la question des mailles territoriales a été développé à partir de l’exemple des diagnostics territoriaux réalisés à Arras où, une année, il y avait un déficit de professionnels dans Arras Sud et Arras Nord et un excédent à Arras centre. Une répartition a été effectuée et de ce fait on a changé les équilibres et donc il a fallu de nouveau repenser les territoires, les zones prioritaires n’étant plus les mêmes. Or la géographie dispose d’un certain nombre d’outils pour pallier ces variations. Par exemple celui qui permet de pondérer les valeurs observées sur un territoire par celles observées sur les territoires voisins qui permet d’éviter de modifier de façon trop radicale les équilibres inter-mailles. Recourir plus souvent à ces outils de la géographie pourraient proposer un début de solution face à des questions telles que : est-ce que je travaille bien à la bonne échelle ? A la bonne maille ? Est-ce que tout ne va pas changer dès que j’aurai bougé un curseur pour chercher un rééquilibrage ? Là on a des éléments de lissage et peut-être des éléments pour répondre à « qu’est-ce que c’est que le territoire pertinent ? ».

En guise de conclusion, je reprendrai deux citations. La première a été récemment prononcée par un géographe, Guy Di Méo : « le territoire pertinent c’est celui où les interactions sont effectives ». La deuxième citation a été prononcée aujourd’hui par S. Tessier : « il faut horizontaliser la dimension verticale des politiques de santé par une appropriation locale des enjeux ». Ce sera le mot de la fin de cette journée pour illustrer le fait que les politiques de santé sont le plus généralement verticales (en silos) et que lorsque l’on fait de la territorialisation, cela revient à les horizontaliser.


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