2. Le territoire national ukrainien : construction nationale et cohésion bancale
Un autre aspect frappant de l’Ukraine des dix dernières années est la montée en puissance de la question régionale. Cette question est ancienne mais elle s’est intensifiée ces dernières décennies. Le pays n’existe dans ses frontières actuelles que depuis la Deuxième guerre mondiale. Avant cette période, l’Ouest de l’Ukraine n’avait jamais fait partie d’un pays commun avec les autres régions. Quant à la Crimée, elle n’a été rattachée qu’en 1954. En outre, et à la différence du cœur géographique du pays, les régions du Sud et du Sud-Est, particulièrement dans les villes, n’ont été peuplées par des colons ukrainiens et russes qu’à une période récente – fin XVIIe et surtout fin XIXe durant la révolution industrielle. Les disparités culturelles, économiques et politiques entre les régions sont donc rapidement devenues un problème clé de la jeune Ukraine indépendante.
De surcroît, les inégalités territoriales se sont accrues au cours de la dernière décennie :
- l’Ouest demeure bien moins urbanisé. Sa base agricole reste importante. La région souffre d’un sous-équipement et d’un niveau de revenus inférieur à la moyenne nationale ;
- l’Est, qui concentre les plus grandes villes à part la capitale, reste plus riche que la moyenne nationale, du fait de sa base industrielle traditionnelle – et qui s’est mieux modernisée que dans le reste du pays au cours de la dernière décennie ;
- le centre du pays est dans une position intermédiaire, sauf la région capitale en particulier l’agglomération centrale de Kiev, qui est un territoire dynamique et caractérisé par l’importance de ses fonctionnaires et de ses services aux entreprises.
Les disparités infrarégionales sont plus prononcées que les disparités inter-régionales. Comme dans les autres pays post-soviétiques, les grandes villes connaissent la meilleure situation grâce à leur base économique diversifiée et à leur marché du travail qualifié. Les villes spécialisées dans des secteurs industriels exportateurs ainsi que les centres administratifs font bonne figure, tandis que les périphéries rurales et les petites villes éloignées des grandes régions urbaines, qui souvent dépendent d’une ou deux grandes usines en déclin, connaissent dépopulation et appauvrissement.
L’évolution démographique générale n’est pas favorable. Depuis 1993 (53 millions d’habitants), la population a constamment décru ; avec 46 millions d’habitants elle a rejoint aujourd’hui son niveau du milieu des années 1960. Les raisons sont à la fois le solde naturel négatif, et le solde migratoire négatif (tant avec l’UE qu’avec la Russie). Pendant les années 2000, aucune des régions du pays n’a connu de croissance démographique, sauf la ville de Kiev (Carte 8).
Le recul est particulièrement sévère dans l’Est (régions de Donetsk, Louhansk) ainsi que dans les oblasts de Chernihiv, Sumy, Poltava et Kirovohrad. Dans l’Est et en Crimée, la part des moins de 16 ans dans la population est tombée à moins de 13 % (Carte 7). La plupart des oblasts ont un solde migratoire négatif. La carte 8 montre que les seuls territoires démographiquement attractifs sont la ville de Kiev et sa région, et à un moindre niveau Odessa, Kharkov, la Crimée avec son bord de mer et la ville de Sébastopol qui, en tant que base navale russe, a toujours joui d’un statut particulier.