compte-rendu Imageun

Kmar Bendana sur le séminaire Imageun à Tunis

Ces notes ont été rédigées par Kmar Bendana (chercheuse en histoire contemporaine à l’Université de La Manouba, Tunis) après le séminaire Imageun qui s’est tenu à Tunis du 29 au 31 octobre 2022.

A la suite des ateliers d’Imageun tenus à Tunis les 29 et 30 octobre 2022, je livre des impressions centrées sur deux points transversaux.
Le fil rouge du projet est de pister et comparer les façons de nommer et de considérer l’Europe sous différents registres. Trois groupes de chercheurs se partagent l’objectif d’explorer les catégories d’acteurs (Public figures, Medias, Students) qui mobilisent une vision de l’Europe, des manières de la décrire, de l’imaginer ou de l’évoquer.

Usages des langues / langages

Imageun cherche à capter l’image de l’Europe depuis ses confins (Turquie/Irlande) et dans le voisinage méditerranéen (Tunisie/ Algérie).

Au cours de ce workshop, on a pu discuter des cas où les langues arabe et turque apportent des angles d’analyse qui complexifient l’interprétation du vocabulaire des acteurs. Les nuances qui ressortent justifient que des arabophones interviennent au cours de l’enquête et dans la phase de l’interprétation des données.

  • Le débat autour de l’analyse de certains journaux (en France, en Turquie, en Algérie, en Grande Bretagne, en Allemagne…) a mis en évidence une série de « biais » intéressants à commenter parce qu’ils mènent vers des univers distincts (en fonction des contextes) qui se croisent parfois (en lien avec des événements).
  • Les deux journaux algériens en arabe (El Khabar et El Nahar) ne parlent pas de Ligue arabe mais pas mal d’Afrique… Au-delà de ce constat peu surprenant mais parlant, on note que la presse francophone (en Algérie et au Maghreb) est une source pertinente pour IMAGEUN car elle est souvent plus soucieuse d’internationaliser son contenu. Encore faut-il que les titres soient sur RSS….

>> J’ai tendance à croire qu’on a plus de chance de trouver dans les titres francophones des mentions de différentes régions du monde.
A la recherche de « niveaux macro-régionaux » et aux façons de dire, d’imaginer, de nommer comme de construire économiquement et scientifiquement ces différents cercles spatiaux, les questions habituelles de traduction (et de précision d’usages) mènent à accorder une attention aux contextes politiques certes mais également aux contextes scientifiques respectifs.

Inspiration

En rejoignant le projet en marche (juillet 2021), mon attention s’est d’abord fixée sur les considérations socio-linguistiques  ; chemin faisant, j’ai découvert la dimension politique et épistémologique de cette recherche de la notion de « macro-région » à travers les perceptions mentales et linguistiques.

Le traitement informatique, fin et systématique, de l’équipe d’analyse, devant mener à une anthologie ou un dictionnaire (j’ai pensé pour ma part à un lexique), m’a sensibilisée à l’intérêt de cette approche de l’espace européen. La mise à plat des différentes façons de désigner l’ « entité européenne » – en dégageant les connotations implicites ou explicites et les références pas toujours exprimées mais qu’on peut atteindre à travers les manières de dire et les formules plus ou moins consacrées – m’a inspiré quelques idées.
L’exploitation intensive des usages du terme EUROPE par différents locuteurs fait ressortir des connotations menant à des jugements plus ou moins affirmés : pouvoir économique, collectivité humaine, structure politique, organisation bureaucratique… qui se chevauchent ou se croisent. Je crois avoir saisi que la perception de la macro-région européenne charrie des sentiments positifs ou négatifs, en fonction des « creux » des images mentales des interviewés. Une connotation culturelle (religieuse ?) semble pointer dans le langage de la presse (à vérifier).
Si je m’en tiens aux diplomates que j’ai interviewés et aux réponses des étudiantEs tunisienNEs que j’ai lues, je m’aperçois que la considération dans laquelle l’Europe est tenue entretient l’espoir / l’attente / l’opportunité d’échapper à une réalité tunisienne économiquement critique (le chômage des diplômés notamment domine les esprits).  La perception est construite sur l’image d’une Europe puissante / conquérante qui recèle des solutions de vie et des chances de succès. Le Parlement européen ne semble pas transpercer cette « perception tunisienne » (toute relative).

Les débats m’ont fait penser aux images que peuvent émettre dans les esprits des entités géographiques comme Maghreb (ou Afrique ? Monde arabe ?), en fonction des positions, des intérêts et des contextes vécus par les locuteurs interrogés.

L’historienne de la période contemporaine que je suis – confrontée à des approches nationales et à des chronologies liées à la colonisation puis la décolonisation – découvre une autre façon de « faire de la géographie », une entrée différente pour appréhender les liens mentaux qui existent (ou pas) entre les espaces et les territoires. La  méthodologie du projet permet en effet d’atteindre d’autres images, imaginaires et imaginations dessinant des « seuils », des marges et des chevauchements de « macro-régions » mentales.  

La découverte peut sembler banale aux membres du groupe de recherche qui ont conçu ce travail comme une extension d’un projet antécédent. Je retiens que les espaces de vie, les univers de travail, les références sont déterminés par les besoins mais également par des visions flottantes ou rigides qui reflètent d’abord et surtout les contextes socio-politiques et également les contextes scientifiques.

De mon point de vue tunisien, un autre constat, banal peut-être aussi, me semble intéressant à creuser : les journaux (un des trois corpus explorés) reflètent des aimantations spatiales de l’actualité ; ils participent à creuser les décalages entre les Européens (et le reste du monde) comme ils constituent des « casiers» (niches d’informations) où se métabolisent les images kaléidoscopiques d’un monde qui se dit « globalisé » (sans l’être tout à fait).

Kmar Bendana
Université de La Manouba
Tunis, le 6 novembre 2022

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