compte-rendu équipe de recherche REMOC

Un monde de régions ?

Échanges et croisements disciplinaires sur l’intégration régionale dans le monde

Le compte-rendu interdisciplinaire du colloque international qui s’est tenu les 21&22 mars 2019 a été rédigé par Pierre Beckouche (Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne), Sylvia Brunet (Université de Rouen Normandie), Didier Georgakakis (Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne), Nora Mareï (CNRS), Henri Regnault (Université de Pau et du pays de l’Adour), Yann Richard (Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne), Liza Terrazzoni (EHESS)

Colloque co-organisé par l’axe REMOC du CIST, le LabEx DynamiTe et Prodig

Le colloque a permis d’entendre sur deux jours 22 présentations, en sessions plénières, principalement de géographes, sur l’intégration régionale dans le monde. Les sessions du colloque ont été présidées par des chercheur.e.s d’une autre discipline : droit, économie, sciences politiques (sociologie politique), histoire et sociologie, qui ont largement discuté l’analyse de ces géographes et ont organisé le débat interdisciplinaire. Ce dialogue a confirmé la nécessité pour les géographes d’approfondir les approches théoriques et méthodologiques de l’intégration régionale, pour être davantage visibles sur cette thématique territoriale contemporaine. En pleine négociation du Brexit, à la suite de la récente reformulation de l’ALENA devenu l’accord Canada États-Unis Mexique (ACEUM/USMCA), à la suite de l’impact de la crise migratoire des voisinages méditerranéens sur l’Europe, ou encore de l’écart entre populations et « eurocratie » bruxelloise, les échanges interdisciplinaires mettent le doigt sur la nécessaire appropriation, des chercheur.e.s voire des citoyen.ne.s, de cette notion de régions (en particulier lorsqu’elle est fortement institutionnalisée), et également des enjeux de gouvernance qui l’accompagnent.

La régionalisation du monde est polymorphe, multidimensionnelle, multiscalaire et complexe. Elle s’impose néanmoins comme un échelon territorial indispensable pour comprendre les dynamiques de la mondialisation. L’analyse des sociétés à l’échelle macro-régionale clarifie les processus d’internationalisation, les normes, les forces qui font ou défont les relations de voisinage d’aujourd’hui (stratégies mondiales de conquête chinoise, instabilités politiques en Amérique latine et Afrique, crises sécuritaires, migratoires et environnementales, montée des populismes, nationalismes, protectionnisme…). Peut-on relever ainsi une double fonction de la macro-région : c’est d’abord une échelle d’observation et de compréhension de dynamiques mondiales ; mais c’est aussi une sorte de « régime spatial », autrement dit une coalescence, parfois initiée hors intentions des acteurs politiques dans un cadre de continuités spatiales. Dans cette perspective, le contact entre les hommes et les sociétés dans le temps est un élément majeur, tout comme une forme de projection dans un avenir commun.

Le colloque nous a conduit.e.s en Europe, en Afrique, en Asie, en Océanie et en Amérique latine et a montré que l’analyse de la régionalisation fournissait une grille de lecture des transformations territoriales des différentes parties du monde, toujours spécifiques aux territoires considérés mais comparables. Il a aussi montré que la proximité géographique reste un déterminant fort du déploiement des pratiques sociales au sens large. Les présentations ont permis de découvrir de nouvelles formes de coopération et d’invention territoriale (régionalisation des mers en Asie du Sud-Est ou en Arctique, triangle du Lithium entre Chili, Bolivie et Argentine, diffusion régionale des conflits et de la violence en Afrique centrale, régionalisation des mobilités étudiantes en Europe…). A partir des monographies régionales, la montée en généralité montre l’intérêt de l’approche par les voisinages pour comprendre les dynamiques de désintégration mais surtout de consolidation régionale depuis la seconde guerre mondiale.

Si pour les juristes les intégrations régionales ne suivent pas les logiques territoriales (indissociables de l’État) mais d’abord celles produites par les institutions, si pour les économistes elles sont produites par les accords internationaux (sans obligation de contiguïté spatiale), les géographes pensent la région à partir des territoires. Ils observent leurs acteurs économiques, politiques, sociaux et leurs réseaux, leurs représentations, leurs discours, leurs actions fonctionnelles et leurs réalités institutionnelles. Ils côtoient donc la sociologie politique, l’histoire ou les relations internationales dans le souci de restituer la complexité thématique et disciplinaire de ces territoires. La macro-région multi-étatique ou trans-étatique des géographes est territorialement continue, elle est avant tout une construction – sociale, économique, politique, culturelle – dynamique, qui peut se faire et se défaire. Elle n’existe pas a priori comme une entité naturelle déjà là qui ne demanderait qu’à être découverte. Elle est un système spatial continu structuré par des interactions entre des unités territoriales initialement distinctes, et plus fortes en interne qu’avec l’extérieur. Le défi des géographes qui travaillent sur la régionalisation reste de faire avancer leur débat méthodologique afin d’apporter une contribution plus lisible aux autres disciplines. C’est ce que les non-géographes les ont encouragé.e.s à faire.

Les discussions se sont également orientées sur la place et le rôle de l’État face à la multiplication des acteurs non étatiques qui produisent également du territoire. L’État étant débordé à l’échelle globale, l’échelle régionale est-elle une manière de retrouver une action politique possible ? La région ou macro-région, en tant qu’échelle intermédiaire des relations internationales, renvoie ainsi à une réflexion sur le rôle de l’État face à des sociétés qui ont parfois du mal à mener des projets lorsque ceux-ci articulent une dimension locale, nationale et internationale. Enfin, l’intégration régionale facilite-t-elle la solidarité internationale ? Cette question est apparue dans plusieurs communications jusqu’à présenter la désintégration régionale comme une conséquence d’un défaut de solidarité au sein des régions institutionnelles. Pour reprendre les termes du géographe Armand Frémont, la macro-région peut-elle être un espace vécu ? C’est une question à la laquelle les géographes tentent de répondre en croisant, et pas en confrontant, approches top-down et bottom-up de cette fabrique d’une échelle macro-régionale de gouvernance des territoires.

Plus globalement la question des motifs et objectifs de l’intégration régionale et de son efficacité est posée et, à travers elle, la question fondamentale de savoir ce qu’est une « région d’échelle macro-régionale » et donc ce qu’est le « territoire », auquel la macro-région est forcément indexée. D’autre part, l’enjeu est de savoir dans quelle mesure on peut ou non parler d’intégration, au sens d’institutionnalisation formalisée, d’harmonisation des réglementations ou de simples interactions/coopérations. L’évaluation de ces degrés d’intégration amène également à s’interroger sur les moyens (politiques, juridiques, économiques…) mis en œuvre et sur l’efficacité de la régionalisation économique ou du régionalisme politique là où ils ont émergé ou vont émerger. Finalement, même s’ils sont largement concurrencés par différents acteurs internationaux et locaux formels ou informels, publics ou privés, les acteurs étatiques semblent difficilement « solubles », au sens où ils se dissolvent difficilement, car seul l’État dispose de la « compétence de la compétence ». Mais on peut même considérer qu’ils sont au contraire « solubles » au sens où ils peuvent trouver leur salut et un nouveau souffle via la coopération inter-étatique et/ou trans-régionale. Si le cadre national est aujourd’hui dépassé, l’État peut se renouveler et tenter, par l’intégration régionale (les organisations internationales notamment), de trouver sa place dans un monde désormais globalisé.


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