compte-rendu SANTE

Environnement urbain et obésité : peut-on transposer en Europe les approches nord-américaines ?

L’objectif de ces échanges, intervenus lors de la réunion interne de l’axe du 27 mai 2015, est de présenter les différentes approches et les positionnements d’auteurs interrogeant la relation entre santé et territoire. Cette troisième séance a fait l’objet d’une double discussion sur un même article.

Renaud Watel, Gabriel Dupuy et Clothilde Minster, 2011, « Environnement urbain et obésité : peut-on transposer en Europe les approches nord-américaines ? », Annales de géographie, n° 682, 2011/6, 604-628

Annales de géographie
Texte de présentation de l’article par Benjamin Lysaniuck (PRODIG / CNRS)

Trois auteurs ont travaillé à l’écriture de cet article. Tous membres – en 2011 – de l’UMR 8504 Géographie-cités, ils revendiquent préférentiellement leur appartenance à l’équipe CRIA (Centre de recherches sur les réseaux, l’industrie et l’aménagement) ainsi qu’à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne.

  • Gabriel Dupuyest professeur émérite à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, UMR 8504 – Équipe CRIA
  • Clotilde Minster est géographe et urbaniste. Elle a rejoint l’équipe du CRIA en décembre 2009 comme doctorante. Docteure depuis 2015, elle est désormais chercheure à l’Institut des études sur le transport du Karlsruhe Institute of Technology.
  • Renaud Watel a démarré sa thèse en aménagement en 2008. Il est rattaché également au CRIA. En thèse au laboratoire Géographie-cités (Équipe du CRIA) de Paris 1 Panthéon-Sorbonne sur « L’influence des politiques publiques de transport, logement et urbanisme sur l’obésité en France et en Europe ».

L’ambition scientifique de l’article est clairement affichée dès le titre. Sous une forme interrogative, il annonce un cadre thématique « environnement urbain et obésité » et se propose de tester la transposabilité des approches nord-américaines dans des contextes européens (en s’appuyant sur trois études de cas).

Dès l’introduction, les auteurs mettent en doute la transposabilité des approches antérieures au profit d’une démarche analytique insistant sur des variables caractérisant une « territorialisation » de l’obésité. Ils énumèrent en suivant un certain nombre d’enjeux liés à l’obésité : son association avec des cardiopathies, certains cancers, l’apnée du sommeil ; ses conséquences sur l’espérance de vie ou encore son coût (10 % des dépenses de santé en 2008 aux USA). Quelques éléments de cadrage appliqués au contexte français sont ensuite avancés (14,5 % des adultes touchés en 2009, entre 30 000 et 40 000 décès/an liés au surpoids et à l’obésité. Enfin, les auteurs pointent du doigt le discours des grandes institutions nationales et internationales mettant en avant une « obésogénéité de l’environnement urbain » à travers un certain nombre de caractéristiques : la morphologie spatiale, la répartition des services dans l’espace ou encore les moyens de transport.

Dans la première partie de l’article, « recherches nord-américaines : problématiques, résultats et critiques », les auteurs s’essaient à l’exercice de l’état de l’art au prisme des études nord-américaines (nord-américaines + des études complétant de manière pertinente les résultats nord-américains). Dans le propos liminaire de cette partie, les auteurs rappellent que « face à la rareté des données et à la difficulté d’une analyse multifactorielle, les chercheurs se contentent d’établir de simples corrélations ». Des variables clés – résumées dans le tableau 1 – sont alors présentées : étalement urbain, moyen de transport (possession et usage d’une automobile), marchabilité, offre récréative et offre alimentaire. Sans reprendre l’ensemble des études mentionnées, voici un certain nombre de résultats mis en avant par la littérature nord-américaine :
– Poids accru associé à la localisation résidentielle périphérique
– S’installer dans une ville dense est corrélé à une perte de poids
– L’IMC est corrélé négativement à la densité de population
– L’accroissement de poids est associé à l’étalement urbain
– L’IMC est corrélé négativement à l’offre urbaine de services et de magasins liés à la santé
– Plus il y a de verdure, moins il y a de risque d’augmentation de l’IMC chez les enfants et les adolescents
– Présence d’un fast-food à – de 1/10 de mile d’un collège = + 5,2 % de taux d’obésité chez les enfants de troisième
– L’offre urbaine de « supermarkets » est corrélée négativement avec l’IMC
– 1h/jour de voiture en plus = + 6 % de risque d’obésité
– Motorisation = + 80 % de risque d’obésité
– Les hommes habitants dans des quartiers « marchables » ont moins de probabilité d’être obèses ou en surpoids
– Les habitants des quartiers « marchables » sont deux fois moins obèses que ceux des quartiers « peu marchables »
– 1 km en plus de marche par jour = – 4,8 % du risque d’obésité.

En résumé, les auteurs concluent « qu’une ville plus dense, favorisant d’autres modes de déplacement que la voiture et présentant une offre proche et variée de commerces et d’équipements serait capable de refréner les tendances à l’obésité chez les habitants ». Certains auteurs nord-américains minimiseraient la responsabilité de l’environnement urbain social ou construit dans le développement de l’obésité en lui opposant la liberté de choix résidentiel des habitants : certaines caractéristiques urbaines des quartiers (verdure, équipements sportifs…) joueraient le rôle d’attracteur pour des catégories particulières de la population (avec de manière sous-jacente une critique de l’idée d’environnement obésogène). Les auteurs font ainsi l’hypothèse que la contrainte représentée par les niveaux socio-économiques relativement bas des personnes obèses s’intercale dans leurs choix résidentiels et vient altérer le lien de causalité supposé direct entre étalement urbain et obésité. Il semble exister une corrélation entre obésité et pauvreté mais l’interprétation d’une telle corrélation peut poser problème : un faible revenu influe certes sur les pratiques alimentaires et de facto sur l’obésité mais les caractéristiques ethniques influent au moins tout autant. Des facteurs comme le genre « s’intercalent de façon très significative dans les processus qui conduisent à des taux élevés de prévalence de l’obésité ».

Dans une deuxième partie de l’article, les auteurs présentent les trois études de cas européennes qu’ils opposeront aux études nord-américaines : le Luxembourg, une ville moyenne allemande de la Ruhr (Bottrop) et une petite ville française de Lorraine (Joeuf). Puisque les études nord-américaines exposées considèrent la faible densité comme facteur obésogène : les trois terrains européens ont été choisis afin de pouvoir observer une obésité avérée dans des tissus urbains denses. L’étude luxembourgeoise se fonde sur des données localisées sur l’obésité fournies par le CEPS/INSTEAD (Centre d’études de populations, de pauvreté et de politiques socio-économiques / International networks for studies in technology, environment, alternatives, development), le cas de Bottrop s’appuie sur des enquêtes réalisées dans des écoles primaires ciblées, enfin le cas de Joeuf s’appuie sur l’observation directe de personnes obèses sur l’espace public (sans pour autant préciser/discuter des critères d’inclusion…).

  • Luxembourg. Évaluation à l’échelle du pays de la motorisation, du type de logement et de la localisation des personnes obèses (données du recensement de la population) et données sur les conditions de vie des ménages issues du panel socio-économique « Liewen zu lëtzebuerg ». Données utilisées : IMC des individus sondés, nombre de voitures par foyer, niveau de revenu et caractéristiques du logement. L’idée est d’associer les personnes obèses à certaines caractéristiques morpho-fonctionnelles de l’habitat et de faire apparaître un profil type de « commune obèse ».
  • Bottrop. Il est rappelé dans l’article que les villes allemandes ne correspondent absolument pas aux descriptions des environnements urbains qualifiés d’obésogènes dans la littérature nord-américaine. Les villes allemandes sont compactes, les déplacements « doux » y sont encouragés, les réseaux de transport y sont développés. Bottrop est un terrain d’étude intéressant car deux parties très distinctes la composent : une partie « historique » aux critères d’une ville anti-obésogène et une partie caractérisée par des densités de population faibles, moins de transport en commun et une offre alimentaire plus dispersée. L’étude s’est appuyée sur les statistiques socio-économiques de la mairie de Bottrop (Statistisches Jahrbuch de 2007) (taux d’obésité infantile, densités résidentielles et nombre de voitures par ménage). Des informations qualitatives sont venues compléter ces statistiques : offre alimentaire, offre de transports en commun, espaces verts… Enfin, une observation des habitudes d’achats alimentaires a été menée dans deux quartiers de la ville : l’un au Sud de la commune (densité de population élevée mais forte prévalence de l’obésité) , l’autre au Nord où le taux d’obèses est nettement inférieur alors que la densité du bâti est plus faible.
  • Joeuf. Caractérisée – selon les auteurs – par une densité de population particulièrement élevée. À discuter : 2 200 hab/km2 (du niveau de Bastia ou de Rodez). Commune aujourd’hui dans une situation économique et sociale particulièrement difficile. Par ailleurs, les études Nutrinet-Santé ou ObEpi confirment les taux d’obésité particulièrement élevés dont souffre la Lorraine. Le canton de Briey (celui où se trouve Joeuf) est l’un des deux cantons lorrains où les taux d’obésité et de surpoids sont les plus forts chez les garçons. L’étude sur Joeuf visait à tester le lien entre environnement urbain et localisation des personnes obèses. La ville a été divisée en 13 zones de populations comparables (non-définies). 167 personnes obèses ont été localisées et les déplacements à vocation alimentaire ont été recensés pour 64 d’entre elles. De plus, d’autres informations ont été récoltées chez ces personnes : type d’habitation, environnement urbain immédiat (?), modes de déplacement, pratiques alimentaires et activités physiques. Enfin, les localisations résidentielles des personnes obèses ont été caractérisées par les critères suivants : « centralité urbaine » (présence de commerces dans la rue considérée) ; « densité urbaine » (nombre d’étages du logement, espaces verts à proximité, congestion du stationnement) ; « marchabilité » (présence à proximité du logement d’arbres, de grands trottoirs, de commerces de proximité, etc.).

L’ambition de la troisième partie de l’article est résumée par son titre : répondre à la question « des espaces urbains obésogènes ? ». Dès les premières lignes, les auteurs avancent que leurs résultats vont à l’encontre des résultats statistiques nord-américains. Les personnes les plus affectées par l’obésité se retrouvent principalement dans les anciennes zones d’habitat dense du Luxembourg et dans les quartiers les plus centraux et denses de Bottrop et de Joeuf. On constate qu’au Luxembourg les obèses habitent plus particulièrement les villes denses du bassin minier du pays. À Bottrop se dessine un gradient de l’obésité infantile des quartiers centraux de la ville jusqu’aux quartiers périphériques. Enfin, à Joeuf 61 % des personnes obèses habitaient dans les rues denses de la ville. Les cartes présentées ne permettent pas cependant d’embrasser clairement l’ensemble de ces dimensions : sont seulement distinguées « zones boisées », « zones urbanisés » et « zones industrielles » sans réelles indications relatives aux densités de bâti et/ou de population. Les trois cas d’études établissent également un lien inverse entre obésité et faible taux de motorisation : les auteurs renvoient alors aux considérations énoncées plus haut concernant la relative pauvreté des personnes obèses. L’approche nord-américaine n’est en revanche pas contredite en ce qui concerne la « marchabilité » (personnes obèses dans des secteurs peu « marchables »). La définition de la « marchabilité » prend en compte l’influence de la proximité d’espaces verts (ou d’équipements urbains favorables à la marche), le cas de Joeuf montrerait ainsi beaucoup de personnes obèses habitent des secteurs peu « marchables » car caractérisés par une offre récréative réduite. Les observations personnelles des enquêteurs à Joeuf et Bottrop révèlent la correspondance entre une offre alimentaire riche issue des « traditions culinaires des pays d’origine et de fortes prévalences d’obésité » (dominante turque à Bottrop, turque et algérienne à Joeuf). Cette offre favoriserait des modes d’alimentation obésogènes. Dans un autre registre, l’étude sur le Luxembourg serait la première à évoquer la possibilité d’une relation entre l’obésité et un type de logement : surreprésentation des personnes obèses dans les maisons unifamiliales jumelées et en bande (habitat de type minier). Les auteurs notent qu’en réalité on retrouve dans les trois cas une population captive d’un « parc de logements mis à sa disposition quasi-gratuitement dans le passé par des entreprises minières ou industrielles ».

En conclusion, les auteurs notent que les caractéristiques de l’environnement urbain qui ont été corrélées aux USA ou au Canada ne semblent pas jouer un rôle décisif dans les trois cas étudiés. Les différences de morphologie urbaine entre l’Europe Occidentale et le bloc USA/Canada expliqueraient sans doute pour une large part ce résultat. Les densités plus élevées des villes européennes génèreraient une offre plus variée de services locaux et les auteurs imaginent que les personnes obèses habitent ou se réfugient dans de tels secteurs. En outre, crises économiques et déclins urbains expliqueraient la concentration de populations fragiles et captives dans ces secteurs. L’inscription spatiale de facteurs socio-économiques pourrait jouer un rôle important dans l’apparition de territoires de l’obésité qui seraient représentés par certaines cités ouvrières du type de celles où se concentrent l’obésité au Luxembourg, à Bottrop ou à Joeuf : cités marquées, selon les auteurs, par une dégradation progressive au plan économique, social et urbanistique. Ces espaces cumuleraient alors des facteurs générant un milieu propice à une hausse de la sédentarité et à des pratiques alimentaires obésogènes.

Introduction de Sophie Baudet-Michel (Université Paris-Diderot)

Les auteurs interrogent la pertinence de la transposition des méthodologies nord-américaines sur l’obésité au contexte européen. Si la méthodologie utilisée est discutable, l’article est intéressant pour questionner la transposabilité de méthodes dans des contextes différents. Il permet aussi de discuter, voire remettre en cause, le lien entre l’obésité et l’environnement et de dépasser les approches établissant des simples corrélations entre différents facteurs.

Hélène Charreire (Université Paris-Est Créteil)

Aujourd’hui, les analyses des liens directs entre environnements et obésité paraissent moins pertinentes. L’enjeu est plutôt de décrypter les comportements en termes de mobilité (quotidiennes, domicile-travail, autour du domicile…) ou de consommations alimentaires. Ce type d’analyses est délicat à aborder. Il faut des cohortes et des possibilités de comparer.

Sophie Baudet-Michel

Le texte, s’il présente une méthodologie critiquable, reste intéressant pour questionner la transposition.

Sandra Perez (Université Nice)

Quand on interroge les caractéristiques individuelles et populationnelles, la part en lien avec l’environnement (au sens physique) est minime. Quel est donc le sens du terme de marchabilité et si on l’améliore, diminue-t-on l’obésité ?

Sophie Baudet-Michel

Cela peut permettre de remettre en cause les aménagements. Ce débat a été important dans les études nord-américaines.

Benjamin Lysaniuck

L’analyse de la bibliographie peut paraître aujourd’hui incomplète, en particulier avec les apports des analyses de type multi-niveaux.

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