2. Quels niveaux territoriaux renforcer ou supprimer ?
Interroger les individus sur les niveaux territoriaux qu’ils souhaiteraient diminuer, renforcer, garder en l’état ou supprimer permet de confirmer leur attachement au système territorial français, en particulier aux niveaux de l’État et de la commune. L’analyse des combinaisons de réponses révèle une opposition tranchée entre ceux qui préfèrent les niveaux locaux et ceux qui souhaiteraient un renforcement du niveau européen ou de l’échelon mondial. Un autre clivage oppose les adeptes d’un maintien des maillages territoriaux issus de la Révolution française (commune, département) et ceux qui souhaiteraient renforcer les niveaux issus des réformes de décentralisation engagées depuis les années 1980 (intercommunalité, région). Ces combinaisons de préférences recoupent à la fois des caractéristiques sociales (âge, sexe, revenu, diplôme) et spatiales (notamment la hiérarchie urbaine).
L’attachement à la complexité territoriale et au niveau communal
D’une manière générale, les personnes interrogées défendent le statu quo (40 % des réponses sur l’ensemble des niveaux) ou souhaitent renforcer les maillages territoriaux (38 %). Les répondant·e·s ayant choisi les modalités « diminué » (15 %) ou « supprimé » (8 %) sont moins nombreux/ses.
Il existe cependant des différences d’appréciation nettes entre les niveaux territoriaux. La commune est le niveau que les répondant·e·s déclarent vouloir le plus renforcer (56 %) pour une meilleure efficacité de l’action publique, alors que moins de la moitié souhaite renforcer le niveau européen (28 %) ou le niveau mondial (27 %). Pour autant, seulement 10 % souhaitent supprimer le niveau européen, ce qui est moins élevé que le score du niveau intercommunal (15 %). L’Union européenne se singularise par la fréquence élevée de répondant·e·s souhaitant diminuer son rôle (27 %) et par le faible nombre de partisans du statu quo (35 %).
Des associations préférentielles de niveaux
Le dispositif d’enquête pose une question simultanée sur l’ensemble des niveaux territoriaux ce qui permet de mettre en valeur des coalitions récurrentes de niveaux territoriaux qui sont simultanément appréciés ou rejetés. Toutes les combinaisons sont théoriquement possibles mais en pratique certaines reviennent plus fréquemment que d’autres. On peut alors observer des associations positives entre certains niveaux et négatives entre d’autres niveaux. Cela permet d’obtenir une première vision des systèmes de préférence des personnes enquêtées.
L’opposition principale s’opère entre, d’un côté, les personnes qui souhaitent renforcer les départements et les communes tout en diminuant ou supprimant les institutions européennes et mondiales et, de l’autre, celles qui proposent un mouvement inverse. Les autres niveaux territoriaux se rattachent indifféremment à l’un ou l’autre de ces deux pôles structurants : l’intercommunalité et la région sont plutôt associées positivement aux deux niveaux globaux, tandis que le quartier s’associe aux niveaux locaux de la commune et du département mais aussi de l’intercommunalité. On observe enfin que le niveau étatique occupe une position intermédiaire ; il serait plutôt corrélé aux niveaux supérieurs (Europe, Monde) mais sans pour autant s’opposer aux niveaux infranationaux puisqu’il est souvent associé positivement à la commune ou au département.
Six types d’attitudes des Français·es face aux maillages territoriaux
Ces associations préférentielles sur l’ensemble des répondant·e·s cachent des appréciations très différentes selon le profil des individus. En effet, une analyse factorielle suivie d’une classification hiérarchique permet de dégager six grandes familles de positionnement typées socialement et géographiquement face à la question des niveaux territoriaux et de l’action publique (Fig. 3, Tabl. 2).
Ce jeu de six familles résulte, d’une part, de styles de réponse plus ou moins radicaux et, d’autre part, de la préférence pour les niveaux locaux – issus de la Révolution française (commune, département) – ou bien les niveaux globaux (Europe, Monde), et ceux issus des réformes territoriales et des lois de décentralisation (intercommunalité, région).
- Deux familles majoritaires dites des Uniformes rassemblent les individus qui souhaitent conserver en l’état (Uniforme I, 32 % des répondant·e·s) ou renforcer (Uniforme II, 22 %) tous les maillages territoriaux. Dans les deux cas, les femmes y sont surreprésentées (exemple du statu quo : 59 % contre 41 % d’hommes), ainsi que les 18-34 ans.
- Deux autres familles, celles des Défenseurs, se distinguent par la volonté de renforcer certains maillages et d’en diminuer d’autres. Une première catégorie (Défenseur I, 18 %) regroupe des individus qui souhaitent diminuer les pouvoirs des niveaux globaux, de l’État et des nouveaux maillages, au profit des niveaux les plus locaux. Les habitant·e·s des villes de moins de 20 000 habitants sont ici surreprésenté·e·s, ainsi que les 35-49 ans. La deuxième famille (Défenseur II, 10 %) est symétrique de la précédente, rassemblant des individus qui souhaitent renforcer l’Europe, le Monde, les intercommunalités, et inversement réduire tous les autres maillages locaux, anciens et récents. On y retrouve une surreprésentation des hommes, des plus de 65 ans et des habitant·e·s de l’agglomération parisienne.
- Les deux dernières familles des Exclusifs se distinguent par la volonté plus radicale de supprimer certains échelons. Les premiers (Exclusif I, 9 %) veulent renforcer les niveaux territoriaux locaux (commune, département) mais supprimer plus souvent les autres, y compris celui de l’État (22 % dans cette famille contre 2 % dans l’ensemble des répondant·e·s). Les hommes sont ici surreprésentés, de même que les individus non diplômés ou peu qualifiés. La deuxième famille (Exclusif II, 9%) rassemble des individus qui souhaitent supprimer les maillages locaux traditionnels au profit d’un renforcement des maillages issus des réformes territoriales (intercommunalités et régions) et du niveau européen. On y retrouve une surreprésentation des hommes, des diplômé·e·s du supérieur, des plus de 65 ans et des habitant·e·s des agglomérations de plus de 200 000 habitants autres que celle de Paris.