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Intermédiaires du tourisme médical. Les réfugiés afghans de Delhi

Ces discussions sont intervenues au cours de la réunion du 15 juin 2016 de l’axe Territoires et santé

Julie Baujard, 2012, « Intermédiaires du tourisme médical. Les réfugiés afghans de Delhi », Revue Moussons

Présentation de l’article par Virginie Chasles (Lyon 3)

Cet article est présenté par l’auteur comme un prolongement de sa thèse de doctorat (2008) portant sur la construction de l’identité « réfugié » à Delhi, et s’intéresse aux « réfugiés-guides-interprètes » afghans qui travaillent pour des compatriotes venus se faire soigner en Inde.

Cet article a plusieurs objectifs, parmi lesquels l’exploration du rôle des réfugiés (afghans) dans le tourisme médical des Afghans, l’impact de ces mobilités médicales sur l’identité que les Afghans construisent en exil, et aussi, plus largement, les effets de ces mobilités de santé sur les migrations et la communauté afghane. On peut noter que l’Inde compte actuellement environ 10 000 réfugiés afghans (dont 85 % d’hindous et de sikhs).

La première partie de cet article s’intéresse dans un premier temps au tourisme médical en Inde, puis, dans un second temps, au cas plus particulier des Afghans.

Quelques mots tout d’abord sur le tourisme médical en Inde qui, globalement, se développe depuis les années 1990. Selon les estimations, c’est entre 175 000 et 500 000 patients étrangers qui viennent se faire soigner en Inde chaque année. Pris en charge essentiellement dans les grands hôpitaux privés, ce secteur représente une manne financière importante. Si le tourisme médical s’est autant développé au cours des dernières années, c’est lié à différentes raisons, parmi lesquelles on peut citer le plus faible coût des soins (comparativement à ceux pratiqués dans les pays développés), des délais de prise en charge plus rapides, des lois plus souples pour le recours à certains soins. C’est aussi parce que le gouvernement soutient le développement de ce secteur, et ceci de différentes manières, notamment en accordant, depuis 2005, des visas médicaux, d’une durée d’un an, aux patients et à leurs accompagnants.

Parmi les patients étrangers qui viennent se faire soigner en Inde, les Afghans semblent occuper une place importante. C’est du moins ce que semblent montrer, par exemple, l’augmentation du nombre de demandes de visas médicaux.

  • D’un point de vue social, différentes catégories de patients afghans peuvent être identifiées. Une première catégorie, minoritaire, est issue de l’élite. Une seconde catégorie, grandissante, est issue de la classe moyenne, voire même de catégorie sociale moins élevée. Les motivations de ces patients ne sont pas explicitement présentées par l’auteur, mais on imagine aisément qu’elles sont relatives avant tout à la disponibilité de soins (à la fois en termes quantitatifs et qualitatifs). Ce type de recours transnational ayant un coût important pour les Afghans, les considérations financières ne sont probablement pas au cœur de leurs motivations.
  • D’un point de vue géographique, on observe également différentes catégories de patients afghans. Il y a tout d’abord une prédominance d’urbains en provenance d’Afghanistan. L’auteur, de façon tout à fait pertinente, explique que les inégalités d’accès entre urbains et ruraux se trouvent renforcées par le recours aux soins à l’étranger. Il y a aussi quelques Afghans de la diaspora, qui combinent à la fois recours aux soins en Inde (surtout du fait des longs délais de prise en charge dans leur pays de résidence) et visite aux proches réfugiés à Delhi.
  • Enfin, d’un point de vue du genre, l’auteur évoque un nombre croissant de femmes parmi les patients. Concernant ce point, l’auteur parle simplement de questions de reproduction, ce qui est très large. On ne sait donc pas pour quels types de recours elles viennent précisément (traitement contre la stérilisation, procréation médicalement assistée), ni même quelles sont leurs véritables motivations (recherche d’anonymat, recours à des soins non autorisés dans leur propre pays…).
Questions
J. Vallée

Il y a des travaux sur les circulations des populations (exemple des couples homosexuels pour accéder à l’adoption ou à des mères porteuses).

V. Chasles

Ces travaux portent sur le « tourisme procréatif ». La motivation n’est pas le prix, mais c’est surtout d’avoir recours à certains soins non autorisés ailleurs ou pour lesquels la liste d’attente est trop longue. Le premier critère est la possibilité d’y avoir recours et de contourner des délais trop longs sur le territoire d’origine.

J. Vallée

Le contournement de la loi semble être une spécificité du tourisme procréatif. Existe-t-il d’autres exemples ?

V. Chasles

Oui, par exemple, concernant la pose d’un anneau gastrique en France. L’itinéraire est très long. Ailleurs, il existe de plus grandes possibilités.
D’autres approches portent, par exemple, sur le développement cellulaire à partir des cellules souches et souvent en dehors de toute autorisation légale. Les travaux de recherche restent cependant embryonnaires. Certains patients avec des pathologies graves cherchent à y avoir recours, par exemple au Canada.

S. Fleuret

Existe-t-il des différences entre l’Afghanistan et l’Inde concernant l’IVG ou la PMA ?

V. Chasles

La PMA n’est pas autorisée ni interdite ce qui laisse un vide et une offre possible. Elle est interdite en Afghanistan.

L’éventail des soins recherchés est très large, allant de la médecine préventive à des soins très lourds (la plupart des patients souffrant de pathologies graves). Par contre, tous relèvent quasi-exclusivement de la biomédecine. L’auteur rapporte un très faible recours aux médecines traditionnelles, telle l’ayurveda. Dans le cadre du tourisme médical, cet aspect n’est pas original, car les médecines traditionnelles sont surtout mobilisées dans le tourisme de bien-être.

Par ailleurs, les types de recours sont également multiples et reflètent la diversité des profils sociaux. Ainsi, les patients les plus fortunés ont recours aux grands hôpitaux privés, alors que ceux qui ont des revenus moindres, se tournent vers les structures publiques. On a donc là des logiques de recours aux soins classiques.

Questions
C. Mangeney

L’attrait financier est-il important pour les infrastructures ?

V. Chasles

On perçoit une spécialisation dans le secteur public avec des accueils différents pour les touristes et les autres. L’intérêt financier est perceptible, dans un contexte de recul de l’État en Inde et du développement du tourisme médical.

T. Serrano

L’accès aux soins est-il discriminatoire ? La préférence est-elle donnée à une plus courte période de soins ou non ?

V. Chasles

La sélection se fait dans les hôpitaux publics. Quotas dans chaque hôpital. En réalité cela n’est pas véritablement respecté. Le tourisme médical participe à une double dynamique : urbanisation et augmentation de l’offre de santé. Cela augmente l’écart entre les ruraux et urbains et la privatisation augmente.

E. Paka

Est-ce du tourisme médical ? Le fait d’habiter à Brazzaville profite tandis qu’à Pointe Noire, par exemple, l’accès est difficile. Par ailleurs, d’autres patients viennent en France car ils y ont des attaches. Ils profitent d’un déplacement pour se soigner.

V. Chasles

Le tourisme médical suppose que la motivation soit récréative mais c’est rarement le cas. Le deuxième article * évoque la mobilité des patients mais utilise le terme de migration médicamenteuse. Généralement, cette mobilité est liée à la recherche d’un soin mais aussi à celle d’un traitement.

La seconde partie de l’article s’intéresse au rôle joué par les réfugiés dans le tourisme médical des Afghans. Des réfugiés qui sont présentés comme des intermédiaires, et même comme des courtiers médicaux, des guides médicaux, des guides-interprètes… L’auteur distingue deux catégories de guides-interprètes : les enfants de réfugiés des années 1990 et des réfugiés arrivés plus récemment en Inde.

Cette seconde partie est intéressante, mais surtout originale au regard de la littérature existant sur le tourisme médical, et ceci au regard de différents éléments.

Tout d’abord, il est généralement rarement question des intermédiaires. Lorsqu’il en est question, le propos concerne soit les professionnels du tourisme médical (agences de voyages, les « facilitateurs » des hôpitaux…) ; soit les membres de la famille installés ailleurs et qui peuvent alors constituer un intermédiaire (comme le montrent certains travaux d’Anaïk Pian). Hormis ces deux aspects, il y a généralement peu de choses. Ainsi, cet article nous éclaire sur un autre type d’acteurs (les réfugiés) impliqués dans ce secteur.

Par ailleurs, autre élément intéressant, c’est qu’on reproche souvent à cette expression de « tourisme médical » d’être impropre car la finalité première de cette mobilité est bien la recherche d’une meilleure santé et non pas la recherche de loisirs. D’ailleurs, dans la littérature, ce second aspect est très souvent occulté, le propos se focalisant alors exclusivement sur les logiques de recours aux soins. Dans cet article, il est fait état de tout ce que font ces intermédiaires (interprètes, aides pour les formalités administratives…), et notamment le fait que certains fassent aussi parfois les guides touristiques, ce qui permet de voir que les liens entre tourisme et santé ne sont peut-être pas prédominants, mais ne sont pas pour autant totalement absents (aspect qui reste peu documenté).

Autre élément intéressant dans cet article, c’est la dimension géopolitique, et l’importance de cet aspect dans la constitution de nouvelles filières de touristes médicaux. Il y a dans cet article un exemple tout à fait éclairant. Du fait de la proximité géographique et d’un certain nombre d’échanges entre l’Afghanistan et certains de ces voisins, il y a d’autres zones potentielles de recrutement de patients que certains intermédiaires souhaitent investir (Tadjikistan, Ouzbékistan, Turkménistan), ce qui ouvrirait donc de nouvelles perspectives de développement pour ce secteur en Inde.

Enfin, pour terminer la discussion de cette seconde partie, on peut relever également l’importance de la trajectoire migratoire des réfugiés dans le développement du tourisme médical. Autrement dit, à travers l’exemple de l’un des intermédiaires (Kabir, qui a été réfugié 10 ans au Pakistan), on mesure bien les potentiels de développement de nouvelles zones de recrutement de patients, selon la diversité des points d’étape dans les trajectoires migratoires. Autrement dit, chaque point de passage du migrant (à conditions bien sûr qu’il y soit resté suffisamment longtemps pour se constituer un réseau social sur place) peut potentiellement constituer une nouvelle zone de recrutement. À travers l’exemple de Kabir, on imagine bien les possibilités de « partenariats » qui pourraient s’établir entre l’Inde et le Pakistan, du fait de la présence de contacts dans chacun des deux pays et aussi de la bonne connaissance de ces pays, de leurs modes de fonctionnement, de leurs langues…

Questions
E. Eliot

Les choix des établissements par les patients reposent-ils sur des proximités culturelles ? Par exemple, dans des hôpitaux fondés par des Musulmans indiens.

V. Chasles

On remarque la recherche de soins affectifs avec une proximité culturelle. Les choix ne sont pas aléatoires : coût mais aussi environnement culturel dans lequel s’inscrit cette offre. On retrouve cela dans d’autres contextes : cas du Brésil (en particulier en termes de proximités confessionnelles). Ce type de sujet est assez peu documenté.

La troisième et dernière partie de cet article s’intéresse à ceux que l’auteur appelle les courtiers médicaux. L’usage de cette formule et l’analyse qui en est faite s’inspire des travaux existants sur les courtiers du développement.

L’auteur rappelle qu’un courtier est « un manipulateur professionnel de personnes et d’informations qui crée de la communication en vue d’un profit (économique, social, politique) ».

L’auteur explique ensuite que les courtiers médicaux sont le résultat de deux dynamiques :
– la recherche, par le monde médical indien, d’acteurs pouvant faciliter la collaboration avec des patients étrangers ;
– la recherche, par les patients afghans, de personnes pouvant les aider lors de leur séjour médical à l’étranger.

Ce qui est intéressant dans cette seconde partie, c’est que l’auteur montre bien qu’il ne suffit pas de mettre en contact deux territoires (lieu de résidence du patient, lieu de prise en charge) entre eux pour que le lien se fasse. Pour que le lien se fasse, et que des flux se mettent en place entre ces deux points, cela suppose de garantir (construire) une certaine proximité (non pas géographique mais culturelle, symbolique…) entre ces deux points. Autrement dit, pour être intermédiaire, il faut pouvoir être capable d’exercer une médiation entre ces deux points.

Cette capacité de médiation est directement influencée par le profil social et migratoire de l’intermédiaire, et plus précisément par sa connaissance « endogène » du milieu, ses compétences linguistiques et de compréhension interculturelle…

Ce rôle charnière que joue l’intermédiaire entre les patients et les structures de soins, autrement dit cette forme de pouvoir qu’il a, peut aussi donner lieu à un certain nombre de dérives, de manipulations… c’est ce que montre l’auteur en citant le cas d’associations frauduleuses (aux dépens des patients) ou, à l’inverse, quand des patients disparaissent sans payer le guide.

Cette dernière partie se termine sur les apports de cette « activité » pour les intermédiaires, des apports qui sont économiques (amélioration du niveau de vie, meilleur accès aux soins) mais aussi sociaux, cette activité leur donnant une certaine légitimité, une certaine reconnaissance sociale, voire même pour certains d’entre eux, un certain prestige. Comme l’explique l’auteur, tout cela leur permet d’affirmer une identité positive face à leurs compatriotes et aux autres réfugiés.

Dans sa conclusion, l’auteur rappelle bien les points essentiels de son travail, et plus particulièrement les éléments originaux du tourisme médical qu’elle a réussi à dévoiler à travers son analyse du terrain et de ses acteurs.

Parmi les éléments que l’on peut retenir :
– Le tourisme médical ne se limite pas à des flux transnationaux du Nord vers le Sud, mais est animé également par des flux Sud-Sud.
– Ces mobilités internationales de santé ne mobilisent pas simplement des patients et des médecins mais aussi d’autres acteurs qui jouent un rôle clé dans l’évolution de cette pratique.

Il y a aussi toute l’instrumentalisation qui peut être faite de ce phénomène et des dispositifs associés, et notamment du visa médical qui, du fait de la facilité de son obtention, peut constituer une nouvelle opportunité de migration. Concernant ce point, l’auteur termine en s’interrogeant sur la possibilité pour les demandeurs d’asile de se définir comme des réfugiés médicaux.

Questions
T. Serrano

Existe-t-il des travaux sur les parcours ? Que se passe-t-il pour certains soins nécessitant un traitement lourd et un suivi ? Quel est, dans ce contexte, la place des médiateurs pour ces populations : jusqu’où fait-on connaître son état de santé ?

S. Fleuret

Des travaux conduits à Sfax (Tunisie) semblent montrer la connivence entre des cliniques privées avec des clandestins-intermédiaires afin d’attirer les patients vers ces cliniques. Ces réseaux sont aussi connectés au marché de l’immobilier. Dans l’article, les familles et les accompagnants ne sont pas évoqués. On peut voir ces intermédiaires comme des aides pour les patients mais aussi comme étant des opérateurs captant des populations à des fins strictement économiques.

V. Laperrière

L’auteur évoque la possibilité de pratiques frauduleuses.

S. Fleuret

Dans l’article, il n’y a pas d’information sur les modalités de sélection des 5 réfugiés ayant fait l’objet d’une enquête ? Sont-ils représentatifs ?

V. Chasles

Le travail de J. Baujard ouvre de nouvelles perspectives à approfondir.

V. Laperrière

Elle questionne la santé mais elle s’interroge sur une problématique plus larges : sur l’identité des réfugiés, les réseaux transnationaux…

V. Chasles

Ce qui serait intéressant est certes de regarder les acteurs frauduleux, mais on peut aussi se demander si les analyses ne sont pas différentes dans un réseau fermé où la réputation peut jouer un rôle important (exemple réfugiés).
En ce qui concerne les types de soins recherchés dans le tourisme médical, on est rarement sur des maladies chroniques.

V. Laperrière

On peut dégager quelques points : similitudes et différences avec le deuxième texte *.

V. Chasles

Le contexte est très différent : maladies chroniques et considérations différentes. Dans le tourisme médical, il y a choix tandis que dans le deuxième texte, il s’agit de quelque chose de contraint. L’auteur parle en effet d’immigration thérapeutique.

* En référence à l’article d’Anaïk Pian proposé en amont de la réunion, « De l’accès aux soins aux « trajectoires du mourir ». Les étrangers atteints de cancer face aux contraintes administratives », Revue européenne des migrations internationales (REMI), vol. 28, n° 2


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