A&T compte-rendu

Réunion de lancement de l’axe Actions et territorialisations

La réunion de lancement de l’axe Actions et territorialisations, qui s’est tenue à Paris le 26 janvier 2015, était animée par :

  • Laurent Cailly, UMR CITERES, Université François-Rabelais Tours (en délégation CNRS)
  • Romain Lajarge, UMR PACTE, Université Grenoble Alpes (actuellement en délégation CNRS)
  • Patrice Melé, UMR CITERES, Université François-Rabelais de Tours
Participants : environ une trentaine

Cette séance inaugurale a été introduite avec une présentation du CIST, du fonctionnement des axes et de l’objectif de ce nouvel axe par Claude Grasland (directeur du CIST, UMR Géographie-cités, Université Paris Diderot). Le directeur du CIST constate que les conditions sont réunies pour constituer un nouvel axe (au moins 15 personnes, d’au moins 3 laboratoires différents membres du CIST et représentant au moins 2 disciplines différentes). Il met au vote la proposition des trois initiateurs de cette réunion comme responsables de l’axe. L’assemblée ainsi constituée se prononce favorablement à l’unanimité.

Rappel des objectifs du nouvel axe

Les responsables de l’axe Actions et territorialisations présentent les trois entrées problématiques envisagées pour interroger les relations entre ces deux concepts (trois exposés de 10 mn. suivis d’un débat).

Individus, pratiques spatiales et territorialisation : de nouvelles perspectives ? Laurent Cailly

Comment renouveler l’analyse des liens entre pratiques ordinaires et territorialisation ? Qu’elles soient individuelles ou collectives, les pratiques spatiales sont mises en tension par un contexte de redéfinition des manières d’habiter. Le régime d’habitabilité fordiste, fondé sur la consommation et l’accumulation de confort spatial (démocratisation de l’accès à la maison individuelle, motorisation généralisée, tourisme de masse, etc.) se lézarde et se trouve disputé par une critique environnementale – mais aussi sociale et politique – qui donne lieu à de nouvelles idéologies, normes ou valeurs en matière d’habiter. Celles-ci redéfinissent ce qui est à la fois individuellement et collectivement acceptable et réinterrogent dans leurs formes toutes les pratiques spatiales : habitat, mobilité quotidienne, pratiques de consommation, culturelles ou touristiques. Ces nouveaux modèles d’action contribuent à diversifier les répertoires de pratique et remettent l’action individuelle au centre de l’analyse des processus de territorialisation. L’articulation entre action individuelle et action collective est également posée. Là encore, le contexte est celui d’une tension entre l’affirmation grandissante de l’individu et la démultiplication des environnements collectifs au sein desquels il agit : formes anciennes (grégarisme familial par exemple), formes réinventées (la famille recomposée) et nouvelles solidarités collectives (tribales, affinitaires, réseaux sociaux, etc.) recomposent et complexifient les morphologies du social : quel est le rôle de l’espace et de la spatialité dans leur fonctionnement ? Le développement des mobilités sous toutes ses formes, et celui encore plus fulgurant des communications, réinterroge les formes mêmes des pratiques spatiales et de la territorialisation : situations de cospatialité, pratiques hyperscalaires, articulation des vitesses, redéfinition du fixe et du mobile, combinaison et transaction entre les lieux. Les TIC, notamment, soulèvent beaucoup de points d’interrogation sur le jeu avec la distance inhérent à toute action humaine. Les outils de maîtrise spatiale se sont considérablement étoffés, et le travail d’agencement spatial des individus au cours de leurs pratiques ordinaires reste en grande partie à décrypter ! L’enjeu du séminaire est d’approcher les processus de territorialisation à travers ce jeu complexe avec les distances.

Questions à travailler

1) Comment les modèles d’action et les valeurs de l’habitable évoluent-ils et participent-ils à redéfinir les formes de la territorialisation ?
2) Que nous disent les pratiques spatiales ordinaires du rapport entre individu et collectif ? Des nouvelles morphologies du social ? Comment les relations sociales, les mobilisations et/ou les identités collectives territorialisent, et réciproquement ?
3) Comment les mobilités et les outils de télécommunication redessinent-ils les formes de la territorialisation ?

Actions collectives, territorialités et territorialisation Patrice Melé

L’insertion de l’action sous le regard des chercheurs du champ « géographie-aménagement », s’est faite d’abord par l’analyse des déterminants des actions individuelles et l’évaluation des actions institutionnelles. Or, dans le même temps semblent se multiplier des actions collectives qui se donnent explicitement l’objectif de mettre en débat le devenir de certains sous-ensembles spatiaux, de prendre en charge des mutations sociétales, de proposer d’autres formes d’organisation sociale ou d’ancrage dans le local. Pour moi, un des intérêts de la proposition de débats au sein de cet axe du CIST est d’intégrer ces formes d’actions collectives dans le périmètre des réflexions sur les processus de territorialisation.
Dans le domaine du patrimoine, de l’environnement, des risques, de la mémoire, de l’action culturelle et artistique, du développement local se forment des collectifs qui revendiquent leur ancrage local et qui, pour certains, affirment réaliser un travail de promotion, de valorisation du territoire ou des mémoires locales.
J’ai pu travailler sur des situations de conflit d’aménagement, d’environnement ou ce que nous appelons dans un ouvrage récent des conflits de proximité[1], à partir d’une problématique sur les effets dans la relation à l’espace de ces processus d’action collective. Cette problématique pourrait être étendue à d’autres formes d’engagement. Dans cette perspective, en reprenant une définition proche de la notion de transaction sociale, les processus observés pourraient être appréhendés comme transactions territoriales[2].
De plus, certains de ces processus, peuvent être qualifiés de territorialisation réflexive[3], au sens où des collectifs construisent une scène sur laquelle sont mises en débat des informations sur les qualités, les évolutions et le devenir possible d’un territoire, et proclament la nécessité de la mise en œuvre de procédures de veille et de surveillance – de réflexivité institutionnelle – pour tenter de réduire les incertitudes.
Ainsi, a-t-on pu construire l’hypothèse de la diffusion d’un régime spécifique de territorialité caractérisée non pas par l’ancrage, la tradition et le temps long, mais par une place particulière de l’action, du débat public, de la diffusion de modes de connaissance et de valorisation de l’espace, de la mise à distance de l’expérience quotidienne pour la transformer en savoir mobilisable dans des épreuves.

Questions pour le débat

1) Comment penser les relations entre actions collectives et pratiques individuelles ?
2) Comment penser les relations entre la production territoriale en acte et le temps long de l’ancrage ?
3) Rôle des catégories et des instruments des politiques publiques dans la diffusion d’une vision territoriale de l’espace ?

Actions publiques, à la recherche de nouveaux territoires ? Romain Lajarge

Le questionnement sur la territorialisation à partir de l’action publique part, au préalable, des apports des sciences juridiques, politiques, économiques sur cette institution faible qu’est le territoire. Les sciences de l’action desquelles procèderaient les sciences territoriales considèrent la territorialisation comme un construit complexe[4]. Elle n’est pas le résultat du seul rapport qu’entretiennent décentralisation et déconcentration pour définir et affirmer les faits territoriaux (et l’effet territorial) dans ce qui peut être entendu comme une démarche « top-down ». Elle n’est pas non plus le résultat de processus dit « bottom-up » où le projet et la participation diraient ce qu’est le réel territorial (et l’interprétation des réalités territoriales). La territorialisation est aussi l’affaire d’un grand nombre d’opérateurs publics qui découpent et spécifient des portions de ce qu’ils ont à faire, portions qu’ils appellent eux-mêmes des « territoires ». On trouve ainsi de nombreux exemples dans presque toutes les politiques publiques (politiques de la ville, logement, sécurité, biodiversité, énergie, mobilité, paysage, développement économique…). Partout, des diversifications de plus en plus subtiles décrivent ce vaste phénomène de la territorialisation. Pourtant, le deuxième constat porte sur l’affaiblissement des capacités d’action publique : l’ensemble des effets de la crise économique, sociale, culturelle, environnementale et idéologique provoquent des effets conséquents, dont une austérité budgétaire qui a un impact sur les territoires eux-mêmes et donc, par voie de conséquence, sur leur capacité à soutenir de la territorialisation. Ce qui pourra amener à considérer la recomposition territoriale actuelle comme une mutation continue des cadres de l’action publique[5] : la multi-territorialité plus encore que l’interterritorialité, la réversibilité aménagiste comme l’attente d’équipements structurants dessinent une instabilité et une incertitude structurelles sur les territoires de l’action publique. Mais ce 3e constat est contrebalancé par un 4e obligeant à voir une appétence pour du territorial de la part d’un nombre croissant d’intervenants, bien au-delà de la seule sphère des acteurs publics[6]. Les acteurs sociaux, les habitants, les usagers et bénéficiaires, les gens, anonymes comme regroupés dans des organisations diverses, sont des territorialisateurs efficaces. Ils déterritorialisent et reterritorialisent plus intensément que ce à quoi parvient la plupart du temps l’action publique. Ils obligent ainsi à repenser autrement l’action publique au prisme des processus et procédés nouveaux à l’œuvre dans les territorialisations constatées aujourd’hui.

Questions pour le débat

1) Comment la territorialisation incite-t-elle à la contextualisation ? L’action publique ne se ressemble pas toujours entre territoires ; elle est incitée à se spécifier et forme ainsi une réponse à l’injonction générique de la mondialisation. Mais comment différenciation et singularisation se situent-elles l’une par rapport à l’autre ? La prise en compte des contextes territoriaux permet-elle de générer de l’action publique plus ou mieux adaptée ?
2) Quels sont les biens communs que l’action publique territorialise ? La territorialisation se connecte, théoriquement et pratiquement, avec la montée en puissance des processus d’autonomisation. Les espaces comme les individus, les grandes régions comme les entités de la vie quotidienne ont tendance depuis quelques décennies à privilégier des entités appropriables, auxquelles il est plus facile de s’identifier et à propos desquelles un bien commun est envisageable ; l’action publique territorialise donc bien autre chose que des rapports entre biens publics et biens privés.
3) Que produit la territorialisation en matière de lutte contre les inégalités ? Au-delà du seul changement de nom de la DATAR et du ministère consacré, l’enjeu consistant à faciliter à chacun l’accès à des formes territoriales habitables, vivables et désirées est devenu d’autant plus fort que l’État providence s’affaiblit. Assiste-t-on à un transfert d’objectifs en confiant aux territoires le soin d’inventer de nouvelles manières d’agir publiquement pour garantir plus d’égalité dans une société par ailleurs de plus en plus inégalitaire ?

Synthèse des 9 interrogations soumises au débat

Lancement de l'axe Actions et territorialisatinos, 26 janvier 2015 - Synthèse des 9 interrogations soumises au débat

Quelques-unes des questions posées

  • Quels sont les acteurs de la territorialisation ? Quelles différences entre l’action collective et l’action publique ? Quid de certains acteurs ? L’ingénierie ? La demande sociale ? Quelles relations entre l’action et la recherche, par exemple dans le champ de l’innovation sociale, de la patrimonialisation vécue, du redécoupage régional… ?
  • Quelles échelles temporelles ? Quelles durées ou quelles temporalités ? Quelles relations entre temps long et temps court dans les processus de territorialisation ?
  • Quelles sont les formes d’articulation entre action individuelle, mobilisation collective et action publique ? Comment penser les théories du changement social, le passage du micro au macro, la dimension internationale de la question de l’action ?
  • Peut-on définir l’action, ou plutôt revendiquer une théorie de l’action à partir de l’analyse du problème territorial ? Rôle de l’intentionnalité ? Du récit ? Des valeurs ? Comment mieux dissocier la pratique et l’action (qui ne sont pas des synonymes) ? Comment se définit l’enjeu des interactions territoriales ? Comment mieux se servir des propositions théoriques du constructivisme dans les sciences territoriales ?
  • Quel rôle jouent les conflits, les dynamiques conflictuelles et les différentes formes d’engagement dans les processus de territorialisation ? Quelles places pour les institutions dans les régulations territoriales ?
  • Comment pourrions-nous conduire cette réflexion en relation étroite avec des acteurs territoriaux engagés dans des dispositifs de territorialisation ?

Programmation 2015/2016

Il a ensuite été rappelé le principe de cet axe du CIST organisé autour d’équipes éloignées les unes des autres (Grenoble, Tours, Paris, Montréal notamment), à savoir une série d’une dizaine de séminaires thématiques, se déroulant en visio-conférence, à raison d’environ 2 tous les 3 mois afin de croiser les approches entre les chercheurs participants à cet axe A&T du CIST. À chaque fois, un thème commun, deux exposés de chercheurs sur le thème et une série de questions-réponses pour poursuivre les échanges théoriques et l’analyse de problèmes pratiques sur les liens entre « actions » et « territorialisations ».

Description de l’objet scientifique

L’objet scientifique mis en débat dans ces séances de séminaire en ligne sous l’appellation Actions et Territorialisations est celui correspondant à l’ambition de :

  • analyser les pratiques et l’action individuelle, les représentations et l’action collective, l’action commune, l’action publique en privilégiant la compréhension des dynamiques en cours dans et par les territoires et les processus de développement territorial ainsi générés
  • (ré-)interroger les pratiques spatiales au cœur de l’action publique (rendre un service au public pour résoudre ou participer à résoudre un problème – de développement, d’habitabilité, de vivre ensemble, de répartition des richesses…)
  • questionner les réformes territoriales (et en particulier celle qui, en France, aboutit à repenser non seulement l’architecture territoriale mais aussi les modalités de construction des problèmes politiques et la régulation des systèmes de démocratie locale, de gouvernance et de représentation)
  • réinterroger l’action collective non seulement par la multiplication des mobilisations collectives et des formes d’engagement sur des enjeux territoriaux mais aussi par le renouveau des pratiques de travail, des stratégies résidentielles, de la métropolisation, des pratiques culturelles, récréatives, mais aussi par le changement d’organisation des activités sociales, de plus en plus fragmentées et ubiquistes
  • étudier le renouveau des pratiques spatiales et leurs ressources dans les territoires
  • prendre en compte les habitants, citoyens et usagers et les jeux de territorialités qui les animent et fondent les recompositions à l’œuvre continuellement
  • analyser le besoin de « politiques structurantes » (notamment en urbanisme pour prévoir la constructibilité et l’effort accru pour le logement, mais aussi en transports pour envisager les nouvelles mobilités de demain) illustrant ce profond mouvement de territorialisation qui semble vouloir succéder au non moins structurant mouvement de décentralisation à l’œuvre un peu partout dans le monde depuis une bonne trentaine d’année.

Proposition de séances thématiques pour les premières séances

  • Habitabilité et action territoriale consistant à habiter
  • Nouveaux regard sur la territorialité : enjeux de définition, enjeux théoriques
  • Planification spatiale et territoriale
  • Loisirs, territorialités récréatives et jeux vidéos
  • Territorialisation de l’innovation sociale
  • Réforme régionale
  • Question foncière
  • Les enjeux de l’habitabilité
  • L’intime connaissance territoriale
  • Informalités et territorialisation
  • Territorialisation des risques
  • Pratiques spatiales et artistiques
  • Territorialisation, normes juridiques et rapport au droit
  • Autres sujets proposés depuis :
  • Living Lab
  • Géopolitique territoriale

Objectifs et principes d’organisation de ces séminaires en ligne

Ils ont pour objectif de partager les avancées récentes des recherches produites sur la question des rapports entre « actions » et « territorialisations ».
Ils se déroulent en visio-conférence multi-site (à Grenoble, Tours, Paris Diderot…).
Les horaires sont toujours 16h-18h en France permettant une connexion depuis le Québec (6h de moins).
Ils font l’objet de 2 présentations de 30 mn. chacune, de 2 chercheurs de laboratoires différents puis d’ 1h de questions-réponses avec les participants, soit 2h maximum au total.
Ces séances sont précédées d’un envoi aux participants (2 semaines avant) d’un court texte de cadrage et de quelques références bibliographiques liées ; elles font l’objet ensuite de la mise en ligne d’un texte issu de la présentation et préambule à une publication envisagée par la suite.
Le programme est annoncé régulièrement sur le site du CIST et sur ceux des laboratoires partenaires.
La participation est gratuite sur simple mail à envoyer 7j avant (dernier délai).


[1] Melé P. (dir.), 2013, Conflits de proximité et dynamiques urbaines, Rennes : PUR, 432 p.
[2] Melé P., 2011, Transactions territoriales, Patrimoine, environnement et actions collectives au Mexique, Tours : PUFR, 216 p.
[3] Melé P., 2009, « Identifier un régime de territorialité réflexive », in Martin Vanier (coord.), Territoires, territorialité, territorialisation ; controverses et perspectives, Rennes : PUR, pp. 45-55.
[4] Gumuchian H., Grasset E., Lajarge R., Roux E., 2003, Les acteurs, ces oubliés du territoire, Paris : éd. Economica, 186 p.
[5] Lajarge R., 2009, « Pas de territorialisation sans action (et vice-versa ?) », in Vanier (M.), 2009 (dir.), Territoire, territorialité, territorialisation … et après ?, Rennes : PUR, pp. 193-204.
[6] Lajarge R., 2012, « Territorialités en développement. Contribution aux sciences territoriales », Habilitation à Diriger des Recherches de l’Université de Grenoble, tome 1, 333 p.


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